Open Data

Open government data: Qui veut les données des administrations publiques?

| Mise à jour
par Rodolphe Koller

Journalistes, chercheurs, entrepreneurs, nombreux sont ceux qui souhaitent que les administrations fédérales mettent toutes leurs données numériques brutes à la libre disposition du public et des entreprises. Si une telle diffusion est un atout pour la transparence étatique, son apport économique reste à prouver.

Les entreprises ne sont pas les seules à amasser d’énormes volumes de données. Les administrations publiques collectent et produisent elles aussi d’innombrables informations de toutes sortes sous forme numérique, nécessaires à l’accomplissement de leur mission, voire constitutives de celle-ci. Comme dans le cas des entreprises également, ces données peuvent receler des trésors que les outils technologiques des uns – analytics, visualisation, big data – et l’ingéniosité des autres – diffusion, crowdsourcing – rendent toujours plus faciles à explorer et à exploiter. Cette situation explique pour une large part l’engouement actuel pour l’open government data, c’est-à-dire la mise à libre disposition des données détenues par les administrations publiques. Un mouvement répondant à un appel du co-inventeur du web Tim Berners-Lee, qui a commencé dans les pays anglo-saxons avant de gagner une soixantaine de pays, mais qui reste fort timide en Suisse.

C’est précisément pour donner de l’élan à l’ouverture des données publiques dans le pays que le lobby open source /ch/open a organisé le 24 juin dernier la conférence opendata.ch 2011. Un événement qui a rassemblé aux Archives fédérales, un large public de convaincus issus du secteur privé, des administrations publiques, de la presse et du milieu scientifique, ainsi que des experts venus partager leurs expériences internationales, à l’instar de Rufus Pollock, fondateur de l’Open Knowledge Foundation. Les ateliers organisés dans le cadre de la conférence devraient donner lieu à un manifeste diffusé en fin d’année.

Aujourd’hui: transparence sélective ou réactive

Les administrations publiques n’ont pas attendu l’émergence actuelle de l’open government data pour publier leurs données. En Suisse, au niveau régional d’abord, plusieurs entités, à l’instar de Bâle-Ville, ont commencé à mettre certaines de leurs données à disposition du public. Au niveau fédéral, MeteoSuisse propose l’ensemble de ses données météorologiques et climatologiques contre rémunération et envisage de le faire gratuitement, hormis les frais de diffusion. De son côté, le portail de Swisstopo permet de visualiser une large base de données géolocalisées, et de les télécharger contre paiement. On y trouve par exemple les données géographiques des réseaux de transport, les frontières des entités administratives et des informations concernant l’environnement. L’agence fédérale la plus avancée en la matière aujourd’hui est vraisemblablement l’Office fédéral de la statistique (OFS). Le site web de l’OFS propose en effet une vaste collection statistique de quelque 80 000 tables, 200 cubes interactifs, des données géolocalisées et des outils de visualisation.

Outre ces publications sélectives qui dépendent du bon vouloir des offices fédéraux, les citoyens peuvent exiger l’accès à des données en vertu de la Loi fédérale sur le principe de la transparence dans l’administration en vigueur depuis 2006. Chacun a ainsi le droit de demander des données aux administrations fédérales et aux services du parlement, hormis certains cas particuliers, comme les procédures civiles et pénales, les informations de la BNS ou les documents dont la diffusion présente certains risques (secret, sécurité, atteinte à la sphère privée, etc.). De plus, si une administration refuse, diffère ou limite l’accès à ses données, il est toujours possible d’engager une procédure de médiation auprès du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence. Dans son rapport 2010, le préposé constatait toutefois que «l’accès au moins partiel est de plus en plus fréquemment accordé» et faisait état de seulement 32 demandes de médiation l’an dernier. Pour certains, la transparence des administrations doit cependant être améliorée. Lancé en juin, le site Oeffentlichkeitsgesetz.ch se propose ainsi d’aider les utilisateurs à adresser leurs demandes de données à l’administration et offre même un espace destiné aux whistleblowers.

Open data: transparence proactive et exhaustive

Pour l’heure les données ne sont donc rendues publiques que si l’administration le décide ou que quelqu’un lui en fait la demande. Par ailleurs, les administrations livrent leurs données dans le format qu’elles veulent – bien souvent en PDF – et exigent parfois un paiement en retour. L’open government data va beaucoup plus loin, puisqu’il s’agit de publier proactivement toutes les données en possession des administrations publiques, de façon à ce qu’elles puissent être réutilisées et exploitées librement. Les données doivent ainsi, entre autres critères, être libres de droit – typiquement via une licence Creative Commons – et diffusées sous forme brute dans un format ouvert, directement lisible par un ordinateur (machine-readable). D’autre part, pour être efficacement exploitables, elles doivent aussi être actualisées, de qualité et enrichies de métadonnées les décrivant précisément.

Gouvernance et participation

Pour les promoteurs de l’open government data, cette libre diffusion a pour principal avantage de permettre une meilleure gouvernance: l’activité des gouvernements est mieux contrôlée si elle est transparente et que tout le monde y a accès. Pour plus de lisibilité, des tiers peuvent en outre créer des outils de visualisation qui puisent dans ces données brutes. L’application «Where does my money go?» de l’Open Knowledge Foundation est emblématique de cette exploitation. Elle permet aux citoyens anglais de voir de manière conviviale comment leurs impôts sont dépensés par les autorités. Autre exemple, energy.publicdata.eu qui permet de comparer graphiquement les politiques énergétiques des pays de l’Union Européenne. Plusieurs régions et villes pionnières de l’open governement data organisent d’ailleurs des concours pour stimuler le développement de tels services en ligne qui, outre leur utilité publique, ont l’avantage de ne rien coûter aux administrations. Les partisans de l’ouverture des données publiques pensent enfin que cette diffusion encourage l’intérêt pour la chose publique, la participation politique voire la collaboration active entre les administrations et les administrés. Ces derniers pouvant aider les gouvernements à améliorer les données ou déceler des phénomènes en analysant et en combinant les données publiques.

Data journalism

Dans le même esprit, l’open government data intéresse particulièrement les journalistes, dont l’une des tâches consiste précisément à éclaircir et à éclairer l’action publique. Ainsi, c’est grâce à la Loi sur la transparence que l’émission Temps Présent a obtenu ce printemps des informations sur les liens entre l’industrie pharmaceutique et les experts de Swissmedic.

Alors qu’il est souvent question du déclin de la presse concurrencée par l’information gratuite et le journalisme amateur, certains estiment que l’exploitation des données numériques ouvre un nouvel horizon pour la profession. Parce que les données sont de plus en plus nombreuses, parce que les lecteurs sont toujours plus friands d’infographies et cartographies attractives, parce que de plus en plus d’outils en ligne permettent de les gérer, de les extraire (scraping) ou d’élaborer des cartes, à l’instar des Google Fusion Tables ou de Many Eyes d’IBM. Ou encore parce que le public peut être mis à contribution, comme lorsque le New York Times a demandé à ses lecteurs d’analyser 24 000 e-mails de la candidate à l’investiture Sarah Palin.

Certaines rédactions, à l’instar du quotidien anglais The Guardian, ont ainsi commencé à investir dans des compétences d’analyse et de visualisation de données et de programmation. En Suisse, la Neue Zürcher Zeitung a lancé NZZ Labs il y a quelques mois, qui s’occupe entre autres de journalisme de données. En France, le média en ligne Owni s’est même spécialisé dans le domaine du data journalism avec des articles-projets élaborés par des journalistes, des designers et des développeurs. Toutefois, comme le soulignait Nicolas Kayser-Bril, collaborateur d’Owni, lors de la conférence Lift France, cette nouvelle pratique coûte cher et l’accès aux données publiques ne va pas à lui seul sauver les journaux.

Quel impact économique?

Au-delà de la transparence et de la gouvernance, les partisans de l’open government data mettent en avant son effet positif sur l’innovation et l’économie. Les données ouvertes n’intéresseraient pas que la presse et des organismes sans but lucratif, mais aussi les entrepreneurs et les start-up. En effet, les données publiées peuvent servir à bâtir des services attractifs payants, disponibles par exemple via des apps mobiles. L’exemple souvent cité est celui de la société américaine BrightScope, spécialisée dans l’information financière et les plans de retraite. Cette dernière a créé fin avril un répertoire de 430 000 conseillers financiers américains à partir de données publiques (SEC, FINRA). Autre exemple, le portail datamarket.com qui rassemble un grand catalogue de données publiques et privées, agrémenté de services payants (outils d’exportation, rapports personnalisés, données premium). Ces quelques cas ne dissimulent guère le fait que les modèles d’affaires basés sur l’open government data sont rares. Les entreprises ne peuvent bâtir leur business exclusivement sur des données disponibles à tout le monde, à moins de miser sur les seuls revenus publicitaires. De plus, s’il y a valeur ajoutée, celle-ci vient du service développé (analyse, combinaison, visualisation) et non pas des données brutes.

Pour les entreprises qui s’essayent à créer des services basés sur les données publiques, les choses ne sont pas aisées. Lors de la conférence opendata.ch, Ronnie Brunner de la société zurichoise Netcetera expliquait par exemple que, dans le cas des transports publics suisses, les données relatives aux horaires sont souvent incomplètes, peu documentées, sans possibilité de correction, voire dans certains cas payantes.
Enfin, l’idée même que des entreprises privées vendent des services basés sur des données publiques gratuites ne jouit vraisemblablement pas de la même acceptation en Suisse que dans les pays anglo-saxons.

De nombreux défis

Même si les modèles d’affaires en résultant sont incertains, la mise à libre disposition des données publiques en Suisse mérite sans doute que l’on s’y intéresse, vu son impact positif sur la gouvernance. Avant de parvenir à un data.gov.ch, de nombreux aspects doivent être réglés. L’accès gratuit entraîne ainsi un manque à gagner pour certains organismes fédéraux qui vendent aujourd’hui des données, comme Swisstopo et MeteoSuisse, ou profitent de leur usage quasi-exclusif, comme les CFF. Les avis divergent d’autre part quant au choix des données publiées: toutes, quelle que soit leur qualité, pour faire avancer les choses et parce que le public est le plus à même de décider de leur intérêt, ou alors seulement les données estimées utiles et de qualité. Des questions techniques demeurent également ouvertes, comme le format de publication (SDMX, RDF), l’organisation des données (catalogue, liens individuels façon web sémantique) et les métadonnées nécessaires. Le W3C a justement initié en juin un groupe de travail, le Government Linked Data Working Group, pour élaborer des standards techniques à destination des gouvernements. De plus, comme pour les autres initiatives d’eGovernment, la structure politique décentralisée de la Suisse est un obstacle naturel à la standardisation. Enfin, la question de la responsabilité dans l’exploitation des données mérite d’être posée. Non seulement en raison des atteintes possibles à la sphère privée, mais parce que les données peuvent déboucher sur des exploitations partisanes peu professionnelles profitant du crédit accordé aux données «objectives».

Version bêta et gouvernance

Ces divers obstacles ne sont pas insurmontables. Pour les promoteurs de l’open government data, ils ne sauraient servir de prétexte à l’inaction. A leurs yeux, les gouvernements devraient s’inspirer du modus operandi des éditeurs de logiciels et des fournisseurs de services en ligne en initiant sans tarder la libre publication de données et en sollicitant le feedback des utilisateurs-citoyens pour améliorer peu à peu cette diffusion. On peut toutefois montrer des réserves légitimes envers une pratique à la Google Street View, qui fait peu de cas de la responsabilité à laquelle sont tenues les administrations publiques.

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