Novembre 2010

Trading à haute fréquence: quand les algorithmes à haute vitesse remplacent les traders

| Mise à jour

Le trading à haute fréquence est emblématique de l’importance qu’ont prise les outils informatiques sur les marchés financiers. Leur essor inéluctable, leur course effrénée vers un minimum de latence et les services mis en place par les bourses pour les attirer suscitent l’adhésion des uns et les critiques des autres. Exploration.

Le 6 mai dernier, la bourse de New York subissait un crash momentané. En moins de 10 minutes, l’indice Dow Jones dégringolait de 9% avant de se ressaisir. Le lendemain, certains sites d’informations financières mettaient en cause une saisie erronée de la part d’un trader – une rumeur bientôt démentie. Et, dès les jours suivants, une grande partie des commentateurs pointaient du doigt le rôle joué par les programmes de trading automatique et plus particulièrement le trading à haute fréquence – communément appelé HFT pour high frequency trading. Il faut dire que ces nouveaux acteurs des marchés financiers, qui s’appuient en grande partie sur la puissance de leurs outils informatiques, sont en plein essor. Et s’ils ne représentent que 2% des sociétés de trading américaines, ils sont responsables de quelque 73% des volumes de transactions sur actions US. Une évolution bénéfique pour les uns, néfastes pour les autres, qui explique la prolifération de services de proximité proposés par les bourses et leurs partenaires technologiques, y compris en Suisse.

Bourses et HFT: le cercle vertueux

Cas particulier du trading algorithmique, le trading à haute fréquence consiste à confier à un programme l’analyse des données boursières et la réalisation de nombreuses transactions quotidiennes, en maximisant la vitesse d’accès aux marchés pour profiter d’opportunités qui ne durent que quelques fractions de secondes. Son essor est intimement lié à l’évolution des performances des systèmes et réseaux informatiques et à la baisse des frais de transaction: il est aujourd’hui possible de bâtir une stratégie basée sur la réalisation d’une grande quantité de micro-gains, qui auraient auparavant été absorbés par les commissions. Mais les HFT doivent également leur succès à leur apport pour les places boursières. Confrontées à une concurrence accrue, celles-ci cherchent à attirer des investisseurs en augmentant les opportunités de trading. Avec leurs stratégies d’arbitrage ou de faiseurs de marché, les systèmes de trading à haute fréquence contribuent à réduire les spreads et à accroître l’efficience et la liquidité d’une place – donc son attrait. Typiquement, lorsque les prix d’achat et de vente d’un titre sont éloignés et qu’aucune transaction ne se fait, les HFT peuvent en profiter pour réaliser un micro-gain avec des prix intermédiaires acceptables pour les deux parties – un rôle qui était autrefois assumé par des traders humains désignés.
Ainsi se développe un cercle vertueux entre les places boursières et les traders à haute fréquence, les premières augmentant leur liquidité et leur attractivité, les seconds réalisant des bénéfices grâce à leur vitesse d’exécution. Et pour offrir à ces traders d’un nouveau genre la rapidité dont ils ont besoin, les bourses mondiales, de New York à Singapour en passant par Londres, s’allient à des prestataires de services informatiques et proposent des services de connectivité optimisée.

A la recherche de la latence minimale

La bourse de Zurich n’échappe pas à la règle, comme l’explique Werner Vogt de SIX Swiss Exchange: «Loin d’être devenue une commodité, la connectivité est essentielle à la communauté financière. Offrir toute une gamme d’options de connectivité de haute qualité est donc d’une importance vitale pour tout opérateur de bourse». En juin, SIX Swiss Exchange annonçait ainsi l’extension de sa capacité et la réduction des délais de latence pour les traders. Parmi le train de mesures annoncées, une offre de services étendue pour l’hébergement de proximité destiné aux participants étrangers, pour qu’ils bénéficient «des mêmes délais de latence réduits que les participants situés dans la région de Zurich». En effet, pour de nombreux traders à haute fréquence, la latence est l’ennemi à combattre, puisqu’il s’agit de réduire à un minimum de millisecondes les temps d’obtention des informations, d’envoi des ordres et de confirmation de leur exécution. Si cette latence dépend des systèmes utilisés par le trader (serveurs, middleware, application, etc.), elle dépend aussi de la distance physique entre ses équipements et le système de la bourse. Pour réduire cette distance, SIX Swiss Exchange  et ses partenaires hébergeurs proposent aux traders situés à l’étranger des services de co-location. Les sociétés de trading installent leurs serveurs dans les data center d’Equinix, de Colt ou d’Interxion situés dans la région zurichoise et profitent d’un accès égal et rapide à la bourse via un cabinet géré par et connecté à SIX et situé directement dans le centre. Comme l’explique Miki Mitric, Directeur marketing et ventes en Suisse d’Equinix : «Pour garantir que tous jouissent des mêmes conditions, nous allons jusqu’à assurer qu’à l’intérieur du centre, la longueur des câbles entre le cabinet de SIX et les serveurs des participants soit égale». La firme américaine spécialisée dans l’hébergement pour les sociétés financières a d’ailleurs dévolu l’un de ses quatre data center zurichois aux services de proximité, avec une surface de 2300 m2. Miki Mitric indique que le temps pour l’aller-retour d’un ordre est déjà inférieur à 2 millisecondes et que c’est dans cette vitesse que les HFT se font concurrence: «Aujourd’hui, les données sont cryptées, mais je ne serais pas étonné qu’à l’avenir certains participants abandonnent cette fonctionnalité pour gagner quelques fragments de seconde». Contrairement aux configurations proposées par Equinix et Interxion où le client choisit son transporteur, Colt offre de son côté un service tout-en-un incluant à la fois l’hébergement en co-location et la connectivité entre la société de trading et le centre de données. Hans Jörg Denzler, Managing Director de Colt en Suisse est confiant quant aux succès de la formule: «Notre centre de 3000 m2 est déjà fortement occupé et nous pensons que de nombreuses sociétés de trading vont s’installer en Suisse, y compris pour leurs opérations». Il explique par ailleurs que le défi de la vitesse de connexion ne concerne pas seulement les HFT et la latence locale: «La connectivité entre les places financières intéresse les banques et traders conventionnels actifs sur plusieurs marchés. En optimisant le trajet de nos lignes, nous sommes par exemple récemment parvenus à atteindre une latence proche de 4 millisecondes entre Francfort et Londres». Un avis partagé par TABB Group, firme de conseil stratégique et de recherche dans le domaine, qui estime que les quelque 15 milliards de dollars dépensés en 2009 par les sociétés financières dans leurs centres de données sont largement imputables au besoin de réduire la latence.

Le HFT sous le feu de la critique

Bon pour les bourses et leur liquidité, le trading à haute fréquence l’est-il pour les marchés financiers dans leur ensemble? L’US Securities and Exchange Commission (SEC), s’est penchée sur le rôle des HFT durant le crash momentané du 6 mai dans un rapport publié fin septembre. Elle y estime qu’ils ne sont pas seuls responsables de la baisse soudaine des marchés, mais que c’est leur interaction avec un programme d’exécution automatique de ventes lancé ce jour-là qui a provoqué un effet de chaîne. Elle signale cependant que de nombreux traders à haute fréquence ayant tout bonnement interrompu leurs opérations en réaction à la brusque chute des cours, les marchés ont subi une crise de liquidité – précisément ce que les HFT sont supposés éviter. Parmi les leçons retirées de son enquête, la SEC conclut que le poids pris par les stratégies et systèmes de trading automatiques exige de prêter une plus grande attention à la fiabilité des données qu’ils exploitent et aux pratiques en vigueur dans les centres de données.
Au-delà de leur rôle dans le crash du 6 mai, une critique fréquente à l’égard des HFT est que la vitesse de leurs systèmes informatiques leur donnerait un avantage injuste par rapport aux autres acteurs. Un avis que ne partage pas la FINMA, l’autorité suisse de surveillance des marchés financiers, dans son rapport 2009: «Le fait de pouvoir réagir plus rapidement que la concurrence a toujours constitué un avantage […] Du point de vue du droit de la surveillance, il y aurait lieu d’intervenir si la mise en place d’ordinateurs rapides devait déboucher, au-delà de l’avantage concurrentiel, sur des comportements abusifs».
Si elles ne redoutent pas les effets de l’usage extensif de systèmes de trading automatiques à haute vitesse, les autorités de surveillances des marchés craignent en revanche une autre pratique développée par quelques bourses: le flash trading. Toujours dans l’optique de séduire les HFT et leur apport en liquidité, certaines places boursières leur donne en effet un aperçu des ordres placés (flash orders), une fraction de seconde avant les autres participants. Un avantage en temps que les HFT sont en mesure d’exploiter grâce aux performances de leurs systèmes. Le danger de cette pratique est relevé également par la FINMA: «Ni la SIX Swiss Exchange , ni aucun tiers n’offrent de tels systèmes en Suisse. Le cas échéant, la FINMA interviendrait contre les abus de ce genre et interdirait les programmes informatiques en question».
En fin de compte, l’informatique dédiée au trading fait figure de pionnière par rapport à d’autres champs d’application. Et les apports et les dangers du HFT explorés dans cet article ont l’utilité de mettre en lumière les effets possibles de l’informatisation en cours dans d’autres métiers. Très en vogue, la business intelligence participe ainsi du même principe d’automatisation de la collecte et de l’analyse des données que le HFT. Certes sans aller – pour l’heure – jusqu’à la prise de décisions par un algorithme.

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