Interview

Marc Besson, Visilab: «Nous sommes à nouveau en mesure d’apporter de la valeur ajoutée aux magasins»

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Fin 2012, Marc Besson quittait le monde bancaire pour diriger l’IT de Visilab. Nouvelle fonction, nouveaux défis.

Marc Besson, CIO de Visilab. (Quelle: Visilab)
Marc Besson, CIO de Visilab. (Quelle: Visilab)

Vous avez travaillé de nombreuses années dans la banque privée avant de rejoindre un groupe d’opticiens. Qu’est-ce qui vous a marqué de prime abord?

Principalement l’efficacité. Le monde de la distribution n’a ni les marges ni les budgets de la banque privée, ce qui nous oblige à trouver des solutions créatives. D’autre part, ce secteur est bien moins soumis aux contraintes règlementaires que le domaine bancaire, où c’est l’un des premiers moteurs de l’IT. Nous sommes en revanche beaucoup plus tournés vers le service à apporter aux 64 magasins, dont certains, situés dans les gares et les aéroports, sont ouverts 365 jours par an. Avec une petite équipe, cela suppose des contraintes de support extrêmement fortes. 

Quelle est l’importance de l’IT dans une entreprise comme Visilab?

Elle est grandissante. La dépendance à l’IT dans les magasins devient extrêmement forte. On sait encore vendre des lunettes sans IT, mais cela devient extrêmement compliqué. Le département informatique est d’ailleurs le plus grand de la centrale, puisque nous sommes passés en trois ans de 4 à 21 collaborateurs, dont un apprenti. 

Qu’est-ce qui explique une telle croissance?

Le principal moteur de cette évolution a été la décision stratégique de racheter le code-source de la partie métier de notre ERP – dont nous étions le seul utilisateur – et d’en assurer l’évolution. C’est une approche à contre-courant, mais nous avons fait ce choix car nous ne trouvions pas de produit sur le marché adapté à notre métier, à nos coûts et aux spécificités suisses, telles que le multilinguisme. Au final, nous nous trouvons donc avec deux ERP qui cohabitent, l’un standard qui recouvre les processus comptables et financiers et l’autre pour la partie optique.

Quelles fonctionnalités recouvre cet «ERP optique»?

La solution métier couvre tout le processus de vente et d’encaissement en magasin, ainsi que la chaîne d’approvisionnement auprès de la centrale. Nous avons aussi une forte intégration EDI avec certains fournisseurs, pour les commandes de verres notamment. La solution fait également office de CRM, avec une notion de dossier client, qui permet de retracer son cycle de vie, par rapport à l’évolution de sa vue et aux achats qu’il a effectués. C’est un outil stratégique pour notre société.

Quelles évolutions planifiez-vous d’apporter à cette solution?

Lorsque je suis arrivé, on arrivait à bout touchant de la reprise de maîtrise de la plateforme, qui a duré 18 mois; il fallait finaliser sa mise en œuvre. A présent, nous sommes à nouveau en mesure d’apporter de la valeur ajoutée aux magasins. Depuis le début de l’année, nous sommes passés dans une phase d’ajouts de fonctionnalités et de modules pour répondre aux diverses attentes des magasins courant 2013. Nous livrons à présent un module dédié aux lentilles de contact. En effet, les lampes à fonte employées par les optométristes disposent désormais de caméras. Il s’agit donc de stocker les images de rétines et de les intégrer dans un cycle global de conseil au client. 

Vous vous êtes donc dotés d’une équipe de développement…

Effectivement, notre département couvre l’ensemble des fonctions IT de Visilab. Nous avons un pôle de développement, un pôle de chefs de projet, un pôle business intelligence et reporting, un pôle de type infrastructure (serveurs, réseau) et un pôle support magasins. Ce dernier assure aussi la fonction de helpdesk, et de support technique pour l’ensemble des magasins depuis Meyrin. Nos collaborateurs peuvent donc être amenés à se rendre jusqu’à Coire. Ceci dit, nous avons refaçonné notre modèle de support en début d’année, en confiant désormais certaines tâches au personnel des magasins. On trouve en général dans chaque boutique un employé jeune qui peut brancher un PC, sur lequel nous prenons ensuite la main à distance. Nous profitons aussi de notre supply chain en envoyant les équipements IT de remplacements avec les camions qui partent chaque nuit pour livrer des lunettes et des montures aux magasins. 

Vous parliez de magasins fonctionnant 365 jours par an. Qu’est-ce que cela implique au niveau de votre infrastructure?

Nous refaçonnons actuellement notre processus de business continuity pour répondre à de nouvelles exigences. On avait déjà donné une certaine autonomie aux magasins puisqu’ils disposent chacun de leur infrastructure de base, serveur notamment, ce qui leur permet de fonctionner en cas de coupure de ligne. Aujourd’hui, on se rend compte que les commerces deviennent de plus en plus dépendants des fonctions centrales, notamment pour l’encaissement par carte, pour les commandes EDI auprès des fournisseurs et pour tout ce qui est accès web et messagerie. On a donc un single point of failure sur Meyrin où tout se concentre. C’est pourquoi nous mettons en place une solution redondante de nos infrastructures les plus critiques pour assurer une continuité d’activité aux magasins sur ces fonctions. Le projet devrait être bouclé d’ici la fin de l’année, avec des choix à nouveau un peu particuliers vu nos contraintes budgétaires. On a pris le parti de couvrir un risque de feu ou d’indisponibilité de notre salle machine, mais pas le risque qu’un avion s’écrase ou un accident chimique qui rendrait le site totalement indisponible. Plutôt que d’aller dans un second data center éloigné, comme le veulent les best practices, nous allons implanter un nouveau centre sur le site actuel. Une option retenue notamment en raison des coûts de télécommunication qui sont très élevés si l’on veut relier deux sites distants. Concrètement, le projet va se matérialiser sous forme d’un container qui sera installé sur notre site. 

Le maintien de cette infrastructure est-il très onéreux? Quels postes mobilisent la plus grande part du budget IT?

Il n’est pas très onéreux. Comme partout, la grande part de notre budget va aux ressources humaines. Au niveau de l’innovation, l’investissement est consacré aux nouveaux projets, en particulier notre ERP métier, et aux ressources de développement ou consultants qu’ils mobilisent. Quant aux frais généraux, c’est tout ce qui est licence et maintenance. Aujourd’hui, compte tenu des grands projets en cours, notre budget est plus ou moins divisé en parts égales entre le run et le change. Ce qui signifie une part importante consacrée au changement pour une entreprise comme la nôtre.

Qu’il s’agisse d’ERP ou d’infrastructure, vous semblez miser beaucoup sur l’insourcing…

Oui, nous recourons aujourd’hui plutôt à des solutions in house, sans qu’il s’agisse pour autant d’un choix d’entreprise définitif. Nous avons plutôt une analyse en fonction des besoins. Nous confions certains services à des prestataires, comme le développement et l’hébergement de notre site internet. Nous avons aussi mis en place une solution de communication digitale, qui gère l’ensemble des flux d’informations avec notre clientèle, tels que les e-mailing ou les campagnes personnalisées, et qui est hébergée chez un fournisseur.

A propos du web justement, envisagez-vous de développer de nouveaux services, voire de vendre des lunettes en ligne?

Non, la valeur ajoutée de l’opticien est encore trop forte aujourd’hui dans l’expérience de vente et l’adaptation de la lunette. Ce qui ne nous empêche pas de faire évoluer notre site web. Nous nous apprêtons par exemple à proposer l’essayage virtuel de lunettes via une webcam, pour accompagner le client dans sa recherche. Il peut ensuite transmettre cette information à son opticien pour le choix définitif. Nous n’avons pas non plus l’intention de proposer un service après-vente par la poste, vu que l’une des forces et des valeurs ajoutées de Visilab, c’est précisément d’avoir un laboratoire dans chacun de nos magasins, et d’offrir des services sur place.

Quelles direction prend l’innovation IT dans le secteur de l’optique: plutôt efficacité opérationnelle ou nouveaux services à la clientèle? 

Elle concerne définitivement les deux aspects. La logistique, mais aussi les canaux numériques et les processus de vente. Nous avons la particularité d’avoir pour actionnaire minoritaire, le groupe d’optique hollandais GrandVision, qui regroupe 4900 magasins d’optique. Nous partageons beaucoup d’informations avec ce groupe, qui nous sert de laboratoire d’expérience, de technologie et d’innovation. 

Quelle est la difficulté logistique d’approvisionner un réseau de 64 magasins en lunettes?

La complexité est forte, car nous sommes soumis à une forte saisonnalité. La lunette est sensible aux effets de mode, avec la notion de collections et certaines montures griffées par des designers. Nous avons donc une grande intégration avec nos fournisseurs, notamment en mode EDI, pour avoir des réapprovisionnements rapides et anticiper certaines tendances. Idem avec certains fournisseurs de verre, qui reçoivent la commande et peuvent partir en production 30 minutes à peine après que nous avons formalisé le besoin avec le client. Nous avons ensuite des retours pour savoir où en est le processus, afin que nos opticiens puissent donner des informations sur le délai de livraison des lunettes au client. Nous travaillons aussi avec GrandVision à établir un standard EDI beaucoup plus large.

Les magasins ont-ils besoin d’équipements IT particuliers?

Dans les magasins, les postes de travail, principalement des laptops, sont utilisés par les employés selon leur activité durant la journée, pour l’encaissement, pour le laboratoire et la fabrication des lunettes. On assure le taillage et le surfaçage des verres avec des logiciels de calcul métier. Ce domaine n’est pas géré par l’IT, mais par un département spécial de six personnes, qui assure le support technique des infrastructures, le software et le desk. Toutes les machines tournent cependant sur Windows et sont connectées à notre réseau. 

Etes-vous beaucoup plus proche du business et de la stratégie d’entreprise que lors de vos précédentes fonctions?

Une société comme Visilab a un caractère d’entreprenariat fort et l’on est en contact permanent avec les magasins. La philosophie de gestion repose sur une certaine autonomie par rapport à la banque où l’on a plus de contraintes avec des processus normatifs relativement lourds. Ceci dit, la proximité avec le business est également très importante dans une banque privée, notamment dans le domaine de la sécurité dont je m’occupais. Mais il est vrai que chez Visilab la relation est différente, davantage tournée vers l’innovation et la création de valeur et moins sur la protection.

Est-ce que vous êtes plus libre dans vos décisions?

Oui, beaucoup plus libre, mais aussi beaucoup plus challengé. Pour donner un exemple caricatural, aujourd’hui, quand un magasin a besoin d’une imprimante, on lui fait une offre, le premier réflexe du gérant, qui a aussi une pression budgétaire forte, est d’aller comparer notre prix avec celui proposé dans les chaînes spécialisées. Si par hasard on est plus cher, il nous rappelle. On a l’obligation d’offrir des solutions optimales. 


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