Les multiples usages et bénéfices des API

| Mise à jour
par Rodolphe Koller

Opportunité pour les entreprises d’exposer leurs données et services de valeur sur le marché, les API permettent en même temps de revisiter les architectures applicatives à l’heure du cloud et du mobile.

Le rachat d'Ansible a pour obectif de permettre à Red Hat d’étendre son offre en gestion de cloud hybrides, d’environnement OpenStack et d’orchestration de conteneurs.
Le rachat d'Ansible a pour obectif de permettre à Red Hat d’étendre son offre en gestion de cloud hybrides, d’environnement OpenStack et d’orchestration de conteneurs.

L’univers digital à portée de nos navigateurs et smartphones ressemble de plus en plus à un gigantesque remix, où il est difficile de savoir qui fournit quoi. Plutôt que de créer leurs propres cartes, les entreprises affichent l’emplacement de leurs filiales sur une carte Google intégrée à leur site. Des applications mobiles permettent de suivre et d’agir simultanément sur plusieurs réseaux sociaux avec différents comptes. Des sites de réservation de voyage agrémentent chaque lieu de villégiature de sa note sur Tripadvisor. Toutes ces combinaisons dynamiques reposent sur des API permettant aux fournisseurs d’exposer leurs contenus et services, et aux développeurs de les intégrer à leurs apps, sites et autres services en ligne.

Jouant ainsi le rôle de rouages de ce nouvel internet, les API connaissent un développement exponentiel. Spécialisé dans le domaine, le site ProgrammableWeb recense actuellement plus de 11'000 API web publiques, contre 9'000 il y a un an. Les plus populaires – Twitter, Facebook, Google – sont sollicitées des milliards de fois chaque jour par des services tiers. Et le phénomène déborde ce cercle restreint des géants du web. Avec des usages inattendus, comme la vodka suédoise Absolut, qui a récemment lancé une API permettant d’accéder à des recettes de cocktail basées sur ses produits. Ou, plus près de nous, les Transports Publics Genevois qui mettent leurs horaires à disposition des développeurs via une API.

Les éditeurs de logiciel précurseurs

Si certains analystes parlent aujourd’hui d’une économie des API, c’est parce que leur rôle ne se borne pas à une fonction technique et qu’elles peuvent avoir un formidable effet de levier. Pour les éditeurs de logiciels, qui n’ont pas attendu la vogue actuelle pour proposer des API, ces interfaces facilitent l’intégration de leurs solutions chez les clients et permettent à leurs partenaires de bâtir de nouveaux services. Ainsi, la société romande Nexthink propose depuis plusieurs années une API pour sa solution de monitoring des postes de travail. Cette interface REST permet à la plateforme de puiser des informations dans des solutions tierces, comme la présence des collaborateurs extraites d’Active Directory. Et, inversement, de nourrir d’autres systèmes de gestion IT employés par ses entreprises clientes et ses partenaires. «Tout ce que l’on peut faire avec le logiciel client, on doit pouvoir le faire avec notre API», explique Samuele Gantner, Head of Product Management de Nexthink.

Même motivation chez l’éditeur de solutions bancaires Temenos qui propose depuis plusieurs mois une API permettant de créer des interfaces utilisateurs connectées au back-end de son logiciel T24. «Notre objectif est de voir un écosystème d’apps se développer, qu’elles soient le fait de clients ou de développeurs indépendants», commente Martin Bailey, Product Director for Technology chez Temenos.

Une grande variété de modèles d’affaires

La valeur économique des API ne se limite cependant ni au cas des éditeurs de logiciels, ni à la constitution d’un écosystème de partenaires. Les API permettent aussi aux entreprises d’exposer leurs services et données à un public beaucoup plus important via les apps conçues par les développeurs. Qu’il s’agisse de contenus, comme dans le cas d’Absolut évoqué plus haut ou du quotidien britannique Guardian dont l’API permet aux blogueurs d’intégrer ses articles dans leurs blogs. Ou qu’il s’agisse de services transactionnels, come le diffuseur de musique Spotify, le site de vente aux enchères en ligne eBay, ou encore le hub d’acticités touristique trekksoft dont l’API est employée par Hotelplan (interview en page 16). Un avantage supplémentaire consiste à rendre ses services disponibles sur une grande variété de terminaux (smartphones, téléviseurs, etc.) à moindre coût en «déléguant» cette tâche aux développeurs tiers – une stratégie mise en œuvre par exemple par le diffuseur de films Netflix.

Cette variété dans les modèles économiques se reflète dans les modes de rétribution. Dans certains cas l’API est considérée comme un véritable produit et facturée en conséquence (licence, abonnement, facturation forfaitaire ou à l’utilisation). Parfois elle est gratuite, parfois le fournisseur et le développeur se partagent des revenus publicitaires. Dans d’autres cas, en particulier lorsque l’app exploitant l’API joue véritablement le rôle de canal de vente, le développeur est rémunéré selon le volume d’affaires qu’il apporte.

Du SOA aux API

En tant qu’outils facilitant l’échange de données et services entre applicatifs, les API présentent aussi des avantages à l’intérieur des entreprises. L’intégration des applications est un serpent de mer dans la plupart des départements IT. La demande en apps mobiles de la part des métiers et le recours à des solutions hébergées dans le cloud complexifient encore la donne dans un contexte où l’on demande à l’IT d’être davantage agile. La plupart des entreprises ont ainsi peu à peu conçu et déployé des approches plus flexibles et modulaires remplaçant les intégrations point à point par des bus de services au sein d’architectures orientées services (SOA). Fondamentalement, l’idée d’exposer ainsi les services fournis pas un applicatif ne diffère guère du concept d’API. Selon certains analystes toutefois, ces environnements n’offrent pas le même niveau d’agilité que les API.

Quelles sont ces différences? Au niveau technique d’abord, les API actuelles privilégient les architectures REST et des technologies web - protocole HTTP (ou HTTPS), réponses structurées en XML ou JSON – plus facilement manipulables et exploitables par les développeurs, notamment pour le mobile. De plus, dans leur design, les API ont en général davantage en tête l’utilisateur, qu’il s’agisse d’un autre département ou d’un développeur ayant à créer une app mobile. Concrètement, cette «orientation client» passe par le renoncement à des fonctionnalités peu utilisées et par l’emploi d’une terminologie compréhensible, standardisée, distincte de celle de l’applicatif sous-jacent. «Nous avons traduit les termes et concepts employés dans notre API de manière à ce qu’ils fassent sens pour l’utilisateur», explique ainsi Martin Bailey de Temenos. Cela signifie aussi que l’API ne devrait idéalement pas être affectée par les changements au niveau de l’application. «A l’avenir, le seul élément stable ce sera l’interface», avance Nicolas Sierro, expert en stratégie digitale chez Galixo.

Appliquée à l’échelle de l’entreprise, une architecture basée sur les API présente ainsi non seulement l’avantage de faciliter l’intégration et le portage des applications sur mobile, elle apporte aussi de la clarté sur les services business disponibles dans l’entreprise. Des atouts qui convainquent toujours plus d’entreprises et expliquent le succès croissant de solutions de gestion des API. Selon Nicolas Sierro, l’émergence d’API dans les entreprises «classiques» profite également de la demande et des budgets libérés pour le développement d’apps mobiles les nécessitant.

Séduire les développeurs

Les API conjuguent ainsi deux bénéfices majeurs pour les entreprises. A l’interne, elles apportent davantage de clarté sur les services offerts par les différents applicatifs et métiers. Elles favorisent aussi la combinaison de ces services et leur mise à disposition sur les terminaux mobiles. A l’externe, ces mêmes API peuvent dans un second temps être exposées aux partenaires et clients de l’entreprise, voire aux développeurs indépendants avec de nouveaux modèles d’affaires à la clé.

Ce passage vers le monde extérieur présente toutefois plusieurs défis. D’une part, l’ouverture des services et données de l’entreprise amène des risques de confidentialité et de dissolution de la marque. «Quand on ouvre une API à tout le monde, on ne sait pas ce qu’ils vont en faire», avertit Nicolas Sierro. D’autre part, il ne suffit pas d’exposer ses services et données pour que les créateurs d’apps s’empressent de les employer. Très sollicités, les développeurs sont les rockstars d’aujourd’hui, estime Nicolas Sierro. Pour les séduire, il faut bien entendu que l’API donne accès à des services intéressants. Mais il faut aussi prendre soin à ce que son design soit simple, que la nomenclature soit claire. «Pour donner envie d’utiliser son API, il faut donner aux développeurs des exemples d’implémentation, du support, des vidéos, etc. » ajoute Samuele Gantner de Nexthink. Il faut aussi penser à fournir des services complémentaires, comme le monitoring de la consommation, surtout si l’usage est payant. Et prendre garde à la compatibilité rétroactive lorsque l’on crée une nouvelle version. «Lancer une API, c’est faire une promesse qu’il faut ensuite remplir», résume Nicolas Sierro.

Une promesse et une occasion rare pour les responsables IT. Alors que tout le monde prédit un transfert des budgets informatiques vers des initiatives digitales tournées vers les clients finaux, les API sont une opportunité pour le département IT de créer une offre originale destinée à un marché de développeurs dont il maîtrise mieux les codes que ses collègues. «La bonne stratégie c’est de faire des API quoi qu’il arrive, ne serait-ce que pour les avantages à l’interne. Après, tout ce que l’on obtient en plus, c’est du bonus», conclut Nicolas Sierro.

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