Banque digitale

Entretien avec Oyoba, la start-up qui veut bousculer le monde bancaire suisse

La start-up Oyoba veut secouer le monde bancaire en devenant la première banque digitale de la Crypto Valley. Son CEO et fondateur Kevin Schellinger explique à nos collègues de la Netzwoche ce qui le gêne dans les banques existantes, quels sont les objectifs de la start-up et comment elle entend fructifier en utilisant la blockchain & co.

Kevin Schellinger, CEO et fondateur, Oyoba. (Source: Kevin Ringli)
Kevin Schellinger, CEO et fondateur, Oyoba. (Source: Kevin Ringli)

Comment vous est venue l’idée de fonder une banque?

Les services bancaires sont aujourd’hui en général très limités; ma banque devrait faire plus et mieux pour moi. En tant que client d’une banque, il m’est déjà arrivé de m’énerver lorsqu’un un service n’est pas ce qu’il devrait être. J’étais alors bien loin de penser à fonder une banque, mais mes activités dans le domaine de la blockchain m’ont amené à m’intéresser sérieusement au domaine financier. Et cela m’a, d’une certaine façon, ouvert les yeux. Nous tentons maintenant de réaliser nos idées avec Oyoba, à savoir comment rendre le banking plus moderne, plus convivial mais aussi plus équitable – bref, comment améliorer les services financiers avec Oyoba.

Nous sommes en 2018 et toutes les banques devraient en fait être depuis longtemps digitalisées.

Que manque-t-il actuellement dans les banques?

Dans le cadre d’une précédente entreprise active dans le domaine du crypto-trading, nous nous sommes entretenus avec quelques banques suisses. Nous nous sommes heurtés à de nombreux refus et avons été forcés de constater le retard qu’accusent les banques en la matière. J’ai également travaillé pendant une courte période comme consultant pour une grande banque, où j’ai pu expérimenter par moi-même comment une banque fonctionne. Et je peux vous dire que, même avec tout l’or du monde, il serait impossible de pouvoir véritablement innover avec la culture qui y règne. Cela m'a donné le courage d’essayer moi-même d’aborder le thème du banking avec une nouvelle culture d’entreprise, axée sur le client et l’innovation.

Oyoba ambitionne d’être la première banque digitale de la Crypto Valley. Qu’entendez-vous par là?

Nous sommes en 2018 et toutes les banques devraient en fait être depuis longtemps digitalisées. Mais elles ne le sont pas. En affirmant notre objectif de devenir la première banque digitale de la Crypto Valley, nous voulons signaler que nous misons sur un nouvel univers financier, le monde de la blockchain et des cryptomonnaies. Tout en intégrant les éléments existants et éprouvés du banking traditionnel. Nous ne réinventons pas la roue, nous continuons de la faire tourner. Peu de gens se rendent compte que la blockchain est avant tout un changement structurel, qui s’éloigne des systèmes hiérarchiques fermés, pour créer un système ouvert fondé sur l’égalité des droits.

Lorsque le taux de référence baisse, on pourrait attirer l’attention du client sur une baisse possible de son loyer, voire même l’assister dans cette démarche.

Que souhaitez-vous faire différemment que les banques traditionnelles?

Nous voulons nous concentrer davantage sur le client. Aujourd’hui, les stratégies bancaires sont axées sur la réduction des coûts et pas sur la plus-value pour le client. Les innovations technologiques permettent de créer de la valeur ajoutée en continu, mais les banques ont jusqu’à présent manqué cette opportunité. Les services que propose Oyoba doivent ainsi exploiter les données pour faciliter des recommandations au client et non pas seulement pour gérer les comptes et créer des campagnes publicitaires onéreuses.

Pouvez-vous nous en donner un exemple?

Lorsque le taux de référence baisse, on pourrait attirer l’attention du client sur une baisse possible de son loyer, voire même l’assister dans cette démarche. C’est de ce type de services intelligents qu’il s’agit. Des services qui facilitent la vie des gens et les aident à économiser de l’argent. La banque doit optimiser entièrement l’ensemble de la vie financière d’une personne. Nous pouvons aussi réduire drastiquement les coûts parce que nous misons sur des services purement numériques. Aujourd’hui, le march financier fait que celui qui n’a pas les moyens nécessaires se retrouve toujours du côté des perdants. Les frais élevés engloutissent tous les rendements. Des tarifs avantageux permettent, en revanche, à tout un chacun d’investir et de profiter de la croissance de l’économie mondiale.

Quelles prestations de services souhaitez-vous offrir initialement à vos clients?

L’objectif est de proposer une offre d’e-banking complète pour les particuliers, avec un compte et une carte. Rien de nouveau en soi, sauf que le compte doit permettre le trafic des paiements aussi bien en francs qu’en cryptomonnaies. Sur cette base, nous voulons ensuite développer notre offre jusqu’à pouvoir proposer tous les services d’une banque retail t ce qu’une banquen retail classique. Nous ne voulons toutefois pas tout proposer nous-mêmes, mais travailler avec des partenaires.

Nous sommes très avancés sur le plan technologique, et un marché relativement petit est déjà intéressant pour nous.

Comment utilisez-vous la technologie de la blockchain chez Oyoba?

Nous offrons au client final une intégration transparente des cryptomonnaies, qui peuvent être utilisées comme investissement ou comme moyen de paiement. Nous désirons créer une valeur ajoutée pour d’autres entreprises, en permettant à différentes blockchains d’accéder au monde financier actuel. De fait, la blockchain n’est en soi qu’une sorte de support sur lequel on ne peut transférer par défaut que la monnaie native comme le Bitcoin ou l’Ether. Si l’on veut effectuer d’autres transactions avec la blockchain, comme par exemple transférer des francs, on a alors besoin d’un fournisseur offrant une certaine confiance préalable. En tant que banque suisse régulée, nous sommes à même d’offrir cette relation de confiance.

Comment souhaitez-vous intégrer les cryptomonnaies chez Oyoba?

L’offre des banques dans ce domaine est encore fortement limitée et on est encore bien loin d’effectuer des paiements avec le Bitcoin comme avec les francs suisses. Cela requiert un savoir-faire élevé. Les grandes banques redoutent les dépenses, étant donné que la demande des clients est encore trop faible. Et les petites banques sont trop faibles sur le plan technique. C’est notre opportunité. Nous sommes très avancés sur le plan technologique, et un marché relativement petit est déjà intéressant pour nous.

Qu’entendez-vous par la notion Business-to-Blockchain?

Dans le B2B classique, on propose une prestation à une autre entreprise. Avec la blockchain, on peut dissocier cette relation et amener la prestation sur la blockchain, qui agit alors comme une plateforme. Ainsi, deux parties peuvent nouer une relation commerciale sans avoir nécessairement besoin de se connaître. En d’autres termes, nous pouvons implémenter quelque chose sur la blockchain que les clients peuvent simplement utiliser, sans nous le demander. Cette ouverture du système favorise une innovation illimitée et démocratise en même temps l’économie numérique, car tout le monde peut participer sur un pied d'égalité.

Pouvez-vous nous donner un exemple d’application?

Nous pouvons par exemple émettre un token sur la blockchain, qui représente un actif financier comme une once d’or, que nous conservons. Cette once d’or sous forme de token peut à présent changer de mains librement, aussi simplement que l’envoi d’un e-mail. Ce concept n’est pas nouveau, mais il n’y a pas encore d’acteurs réglementés sur ce marché. Il s’agit en fin de compte s’assurer qu’il y a bien quelque chose derrière ce token.

Une banque a besoin d’un important capital de départ. Comment pensez-vous financer Oyoba?

Au début, nous lèverons des fonds via une campagne de crowdfunding. Cela va aussi de pair avec notre philosophie «own your bank». Nous avons toujours eu dans l’idée que la banque appartient aux clients et que les clients peuvent s’exprimer et être entendus. Initialement, nous envisagions une campagne de financement à la Kickstarter. Cependant, les ICO sont aujourd’hui une forme de crowdfunding bien plus efficace. Vu notre longue expérience dans le domaine de la blockchain, c’est à l’évidence le bon modèle de financement pour nous.

Que recevront vos investisseurs en contrepartie de l’ICO?

Nos investisseurs recevront une sorte de bon sous forme de token, qui pourra être échangé plus tard pour des services. Les prestations seront ainsi préfinancées. Il y aura également un programme à travers lequel les clients disposant de tokens pouront devenir membres, comme dans une coopérative. Les membres seront récompensés avec des actions pour leur loyauté.

A quoi ressemble votre modèle d’affaires?

Nous nous sommes penchés sur différentes options. Il y a les possibilités classiques telles que les frais de gestion de compte ou de change. En tant que banque 100% digitale, nous avons l’avantage de pouvoir opérer de manière beaucoup plus économique. Et nous voulons gagner de l’argent en proposant des services supplémentaires. Et pour ce faire, nous devons changer le modèle d’affaires des banques : travailler moins avec l’argent, mais promouvoir d’autres offres apportant une valeur ajoutée dans un contexte financier. Nous voulons par exemple aider des clients à réaliser des économies en leur procurant en continu l’assurance la plus avantageuse. Nous souhaitons ainsi créer une situation de gagnant-gagnant.

Si nous voulons changer le statu quo, nous devons sortir des sentiers battus et innover.

Oyoba est l’acronyme de «Own your bank». Comment comptez-vous mettre cette devise en pratique?

C’est bien plus qu’une simple devise. Cela a déjà commencé avec l’ICO. Nous avons clairement planifié comment transférer la propriété aux clients à mesure que leur nombre augmente. Par ailleurs, nous travaillons avec des structures d’actionnariat favorisant l’égalité en matière de droits de vote. Le but étant de promouvoir un modèle coopératif au sein d’un société anonyme.

Vous écrivez que chez Oyoba tous les membres ont leur mot à dire. Comment fonctionne cette participation?

Nous pensons par exemple à mettre en place une assemblée générale digitale, au cours de laquelle les membres pourront élire le Conseil d’administration, décider du versement de primes ou s’exprimer sur le montant des frais. Si nous voulons changer le statu quo, nous devons sortir des sentiers battus et innover. La technologie peut nous soutenir dans ce processus, mais pas toujours. Parfois, il faut simplement un peu de courage, une vision et un esprit d’entreprise. «Own your bank» signifie pour nous non seulement la copropriété ou le droit de regard de nos clients, mais aussi la possibilité d’obtenir davantage de contrôle sur l’argent, et ce à tous points de vue.

Vous placez la gestion durable au cœur de votre activité. Qu’entendez-vous par là?

La façon dont l’argent est investi dans notre monde a de grandes répercussions. Il y a une différence entre investir dans des centrales thermiques au charbon ou dans des fermes solaires. Nous voulons transposer au banking les mode de vie et de consommation actuels, qu’il s’agisse d’achats de vêtement ou de nourriture. Celui qui a aujourd’hui de l’argent sur un compte en banque deviend inévitablement un investisseur. Mais, sans contrôle sur la manière dont la banque investit l’argent, on peut sans le vouloir encourager des choses que l’on ne souhaite pas. De manière générale, on devrait donc pouvoir agir de manière plus consciente dans le domaine financier aussi. Des investissements mieux ciblés peuvent en outre avoir une influence positive sur les changements dans l’économie et la société. «Impact Investing», voilà le mot-clé.

Comment réaliser un investissement durable?

Il existe aujourd’hui de nombreuses externalités, qui ne sont pas comprises dans le prix. Par exemple, on achète du carburant sans prendre en charge les coûts de l’empreinte carbone. Nous voulons donner la possibilité aux gens de transposer leurs valeurs personnelles dans leur portefeuille. C’est pourquoi nous sommes en contact avec la Global Alliance for Banking on Value (GABV). Nous voulons apprendre de cette association comment réaliser concrètement des activités bancaires durables. Le secteur bancaire nécessite un changement culturel. Dès lors que l'on lance une innovation technique, pourquoi donc ne pas innover ailleurs?

Comment se compose votre équipe?

Nous avons une équipe très interdisciplinaire, qui , si l’on inclut nos conseiller, compte déjà plus de 20 personnes. Nous pouvons couvrir de multiples compétences allant de la blockchain à l’AI. La plupart de nos membres sont en Suisse, mais nous maintenons aussi une équipe de développeurs à l’étranger.

Avez-vous déjà fixé une date de lancement?

A l’origine, nous suivions un modèle de néo-banque, pour lequel nous n’aurions pas eu besoin de licence bancaire, ce qui se serait avéré plus simple. Toutefois, l’environnement étant actuellement plus propice à la collecte de fonds qu’il ne l’était dans notre phase conceptuelle, nous pensons désormais viser directement une licence bancaire. Cela rend beaucoup de choses possibles, mais repousse néanmoins le calendrier. Nous espérons pouvoir lancer les premières prestations sur le marché cette année encore. Les grands produits devront probablement encore attendre jusqu’à l’an prochain. Nous dépendons en partie du régulateur et de la politique, ainsi que de la promesse d’un environnement plus favorable à l’innovation.

Nous dépendons en partie du régulateur et de la politique, ainsi que de la promesse d’un environnement plus favorable à l’innovation.

Le lancement d’Oyoba sera-t-il limité à la Suisse, ou des activités internationales sont-elles prévues?

La Suisse et l’UE sont nos marchés cibles prioritaires dans le segment de la clientèle privée. La réglementation bancaire propre à chaque pays est malheureusement un facteur entravant l’internationalisation. Il faut tenir compte des exigences réglementaires partout. Le produit doit également être adapté aux exigences du pays si l’on veut offrir un excellent service. L’avantage de l’UE est son marché unique. La Suisse n’en fait pas partie et cela ne simplifie pas les choses. Nous espérons néanmoins que nous pourrons bénéficier de la place Suisse à d’autres égards. Et, comme je l’ai déjà dit, le régulateur et la politique se doivent aussi de respecter leurs engagements.

Quelle sera la prochaine étape pour Oyoba?

Nous avons investi beaucoup de temps à la création de l’équipe. Nous avons eu de la chance de pouvoir nous appuyer sur les réseaux existants, mais aussi de rallier de nouveaux soutiens et conseillers. La prochaine étape décisive est le crowdfunding. Notre objectif est de développer une vaste communauté qui nous accorde sa confiance et mette à notre disposition le capital nécessaire pour concrétiser notre vision. En fonction des investisseurs et du processus d’octroi de licence, cela prendra approximativement un à deux ans pour réaliser nos objectifs à moyen terme. Nous désirons naturellement démarrer dans les plus brefs délais, mais cela n’est pas entre nos mains. Oyoba est un projet ambitieux, qui se veut sérieux et construit pour le long terme.

Pour obtenir une licence bancaire, il nous faut lever quelque 30 millions de francs.

Avez-vous un objectif précis en termes de crowdfunding et de communauté?

Pour obtenir une licence bancaire, il nous faut lever quelque 30 millions de francs. C’est une somme substantielle, mais de nombreux projets actuels parviennent à réunir des montants de cette ampleur. Avec le modèle de néo-banque susmentionné, nous pourrions déjà démarrer avec un financement nettement inférieur, mais nous serions alors limités sur le long terme. Pour réaliser nos ambitions, l’objectif est donc clairement d’obtenir notre licence bancaire.

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