Groupe Kempinski

Alexander Gundlak, Kempinski: «Avec le cloud, nous sommes capables de mesurer le coût IT additionnel d’un hôtel»

| Mise à jour
par Interview: Rodolphe Koller

Alexander Gundlak gère l’IT du groupe hôtelier Kempinski. Il explique les atouts du cloud pour une société gérant des hôtels aux quatre coins du monde.

Alexander Gundlak, CIO du Groupe Kempinski (Quelle: Studio Casagrande/Jay LOUVION)
Alexander Gundlak, CIO du Groupe Kempinski (Quelle: Studio Casagrande/Jay LOUVION)

Quel a été votre parcours?

C’est une longue histoire. J’ai une formation technique mais, la crise aidant, j’ai été amené à travailler comme portier dans un hôtel qui venait d’ouvrir à Francfort. Cela ressemblait un peu à une start-up. J’y ai un peu tout fait et j’ai découvert les opérations d’un hôtel. Du fait de mes compétences techniques, j’ai aussi commencé à m’occuper du site web ou de l’accès des clients au wifi, puis de toute l’informatique et finalement de l’IT d’un  groupe comprenant 30 hôtels. 

Depuis quand êtes vous CIO de Kempinski?

J’occupe cette fonction depuis septembre 2014 – j’ai survécu à ma première année à ce poste! Mais j’ai rejoint le groupe Kempinski ici à Genève il y a déjà huit ans. D’abord avec la responsabilité des systèmes corporate, comme les RH ou la finance, avec toutes les questions de processus business et de workflow. Ensuite est venue la demande de créer une plateforme collaborative. Nous avons réalisé qu’il fallait une personne dédiée pour ce domaine et j’en ai pris la responsabilité. En même temps on a changé de stratégie avec pour la première fois un plan IT à cinq ans, développé par mon prédécesseur. Considérant que nous ne sommes pas une société IT, nous avons notamment décidé de transférer notre infrastructure dans le cloud.

Quels systèmes avez-vous migré dans le cloud et pourquoi?

Notre service de messagerie a servi de déclencheur. J’étais alors en charge de notre système d’e-mails basé sur Groupwise. Nous avions à opérer et surtout à administrer quelque 80 serveurs en offrant un service 24 x 7, ce qui nécessitait une grosse équipe infrastructure et coûtait beaucoup. Nous avons donc décidé en 2011 d’aller vers le cloud. A l’époque, Google était le seul fournisseur proposant une messagerie en mode SaaS avec un réseau global pour l’ensemble de nos destinations. Mais les données étaient hébergées aux Etats-Unis, ce qui nous préoccupait en termes de privacy. Nous avons eu la chance que Google change sa manière de faire justement à cette époque, en proposant un hébergement en Europe pour les entreprises du continent. Dès lors, plus rien ne nous retenait et nous sommes aujourd’hui entièrement sur Google Apps. Nous avons aussi appris de cette expérience et poursuivi la migration de notre infrastructure sur Amazon Web Services. Cela va des systèmes financiers aux systèmes IT centraux, comme les services de directory ou les DNS, etc. Là aussi, nos services sont hébergés en Europe, en Irlande précisément bien qu’il s’agisse d’un fournisseur américain.

Les entreprises établies qui migrent leurs systèmes clés dans AWS ne sont pas légions. Comment vous y êtes-vous pris?

Effectivement. Nous ne sommes pas directement allés trouver Google et Amazon. Pour eux, nous sommes un client certes attractif du point de vue de notre marque, mais un petit client du point de vue de nos volumes. Nous n’avons par exemple que 6500 comptes de messagerie, alors qu’ils ont des clients avec plusieurs dizaines de milliers de comptes. S’agissant de l’email, nous avons cherché une société pour nous assister, qui connaisse la technologie Groupwise et soit capable de migrer notre environnement vers Google Apps. Nous avons trouvé un prestataire au Royaume Uni – Cloud Technology Solutions – qui continue d’être notre partenaire pour Google Apps. Nous avons aussi cherché des spécialistes connaissant les innombrables services cloud proposés par Amazon. Il est très difficile lorsque l’on débute de choisir le bon produit et de savoir comment utiliser au mieux AWS. En collaboration avec une autre société britannique, nous avons développé un concept de sécurité et conçu un cloud privé virtuel (VPC) dans AWS. Ils nous ont énormément aidés à comprendre ce qu’il est possible de faire ou non dans AWS. Nous avions par exemple différentes versions de Linux, mais pas les distributions supportées. Notre partenaire apporte aussi la dimension entreprise dont nous avons besoin, avec des services managés notamment pour le monitoring et le patching de l’infrastructure cloud. Aujourd’hui, tous nos services centraux sont dans le cloud et nous réfléchissons à la manière dont nous pouvons faire profiter les hôtels du groupe de cette expérience.

Vos coûts totaux ont-ils diminué?

Oui, l’ensemble est bien plus économique que si nous l’opérions nous mêmes. Nous profitons aussi de la transformation des investissements (capex) en dépenses opérationnelles (opex) et nous jouissons d’une plus grande extensibilité. Dans notre activité, il est essentiel de pouvoir augmenter ou réduire notre capacité durant l’année, mais aussi lorsqu’un hôtel rejoint ou quitte notre groupe. Non seulement nous sommes plus flexibles, mais nos coûts deviennent aussi plus transparents. Notre modèle d’affaires consiste à vendre un savoir-faire dans la gestion d’un hôtel. Un propriétaire vient nous voir et nous demande d’opérer son établissement, en général pour une durée de 10 à 20 ans. Il obtient la marque, notre réseau de distribution et nos standards. Cela va de la taille des chambres jusqu’à la conformité avec la norme PCI DSS pour les données des cartes de crédit. Nous sommes actifs sur un marché compétitif et les propriétaires comparent naturellement nos coûts et prestations avec ceux de nos concurrents. Avec le cloud, nous sommes capables de mesurer le coût IT additionnel d’un hôtel et de proposer à nos clients un modèle opex attractif. 

Comment gérez-vous les contraintes des solutions cloud, telles que le la dépendance à un fournisseur ou la disponibilité?

Pour garantir notre indépendance, nous nous assurons toujours d’avoir la propriété des données et de disposer d’une stratégie de sortie, avec des outils pour extraire facilement nos données. De fait, je pense qu’il est plus aisé de changer de fournisseur en étant sur le cloud. Nous avons vu les problèmes rencontrés lorsque nous avons transféré dans le cloud les données que nous avions sur notre propre infrastructure. Quant à la disponibilité, elle a considérablement augmenté. Ces deux dernières, nous n’avons jamais connu de panne de plus d’une heure. Avec nos hôtels aux quatre coins du monde, nous avons une activité 24 x 7 et nous voyons immédiatement si un client ne peut pas faire son check-in. Nous nous appuyons sur des prestataires qui sont capables d’offrir une telle disponibilité.

Quels systèmes continuent d’être opérés localement?

Notre infrastructure est encore hybride dans certaines destinations. Nous avons encore à gérer des installations locales et des synchronisations durant la nuit, pour des raisons de mauvaise connectivité dans certains pays ou de fournisseurs qui ne sont pas en mesure d’offrir un vrai service cloud. Google ou Amazon sont à même de délivrer la même expérience quel que soit l’endroit. Alors qu’Oracle, que nous utilisons pour le property management, en est encore loin. Pour nous, une véritable solution cloud doit reposer sur une infrastructure globale et pas sur un ou quelques datacenters. 

Quel accompagnement IT offrez-vous aux hôtels du groupe?

L’infrastructure et la maturité des hôtels du groupe sont très différentes. Notre principal objectif consiste à amener toutes les destinations aux mêmes standards et au même niveau de conformité, en particulier PCI DSS. Nous ne voyons par exemple pas l’utilité d’avoir un seul Active Directory centralisé, mais nous voulons que les hôtels attribuent des noms aux utilisateurs de la même manière. Idem pour les serveurs de domaine. Beaucoup de nos initiatives vont dans ce sens. En même temps, nous cherchons à accompagner la transition des hôtels vers le cloud. En leur proposant par exemple de mettre leur Active Directory sur Amazon, ou de stocker leurs fichiers dans Google Drive. Nous réfléchissons aussi à l’emploi d’une solution cloud globale pour les RH.

Comment est organisée cette collaboration entre le siège et les différents hôtels?

Lorsque j’ai repris le département IT, j’ai fait quelques changements au niveau de son organisation. Notre structure avait grandi organiquement pendant une quinzaine d’années. Je connaissais très bien le département et j’avais une idée claire des améliorations à apporter… Nous sommes aujourd’hui moins focalisés sur l’administration de l’IT et davantage orientés business. Nous avons développé une fonction sécurité et conformité et une fonction opérations et administration, qui fait office de centre de connaissances. Le responsable IT d’un hôtel est un peu un couteau suisse: il doit savoir un peu de tout, cela va de la téléphonie aux domaines Windows, en passant par les systèmes de divertissement et le wifi. Nous voulons qu’ils aient à leur disposition un réseau de spécialistes à qui s’adresser. J’ai aujourd’hui 25 responsables IT qui viennent d’horizons divers et apportent des compétences spécifiques. Si j’ai un ingénieur certifié Cisco, j’ai intérêt à ce que chacun puisse profiter de ses connaissances et best practices. C’est là que réside ma fonction: identifier ces profils et rassembler et animer cette communauté. Les besoins IT des hôtels sont très similaires et il faut éviter que chacun réinvente la roue. Cela fait aussi partie de la standardisation.

Vous avez accès à beaucoup de données sur votre clientèle. Comment les exploitez-vous?

Nous sommes à même de collecter des informations extrêmement personnelles, ce qui nous oblige à être particulièrement prudents. Déjà au moment de la réservation, nous pouvons par exemple savoir s’il demande une chambre fumeur ou des lits séparés. C’est un sujet de débat dans notre entreprise. Notre connaissance des préférences d’un client loyal et fréquent nous permet d’anticiper ses demandes de manière opportune. Nous pouvons lui proposer un massage au bord de la piscine ou un en-cas en fin d’après-midi. En même temps, si elles sont excessives, ces anticipations deviennent intrusives. Notre activité exige aussi beaucoup de discrétion: «what happens in the guest room, stays in the guest room». Un autre défi est de s’assurer que ces données sont à jour, parce que les préférences changent. Nous réfléchissons à plusieurs pistes. Comme l’utilisation des données des réseaux sociaux ou la possibilité de permettre aux clients de gérer eux-mêmes leurs préférences.

Quel est l’impact des évolutions technologiques sur les systèmes proposés en chambre?

Nous proposons toujours plus de services et produits technologiques à nos clients: téléviseurs intelligents, iPad dans les chambres, systèmes de gestion des éclairages, etc. La tendance générale, c’est que le client utilise ses propres appareils, avec ses données, sa musique, ses films, ses abonnements, etc. De notre côté, nous devons nous assurer que ces appareils se connectent avec les systèmes de la chambre, et en particulier avec la télévision qui fait office de hub de divertissement. C’est un challenge car ces technologies se développent plus vite que les cycles de remplacement usuels – nous l’avons vécu avec les chargeurs pour iPad… Il faut aussi proposer un wifi de plus en plus puissant et sécurisé. Nous réfléchissons aussi à offrir des services additionnels. Comme la possibilité d’ouvrir la porte de la chambre avec son smartphone, ou d’informer l’hôtel d’un problème via l’app Kempinski. Cela nous permettrait de venir réparer le problème pendant que l’hôte n’est pas dans sa chambre. Nous sommes une chaîne 5 étoiles et nous devons sans cesse surprendre nos clients. 


Tags
Webcode
9643

Kommentare

« Plus