Best of Swiss Web 2016

Urs Hölzle, Google: «Nous ne sommes qu’à l’aube d’un développement fulgurant du cloud computing»

par Interview: George Sarpong

Le Suisse Urs Hölzle est l’un des dix premiers collaborateurs de Google et il a considérablement contribué au développement du World Wide Web, ce qui lui a valu cette année le Prix d’honneur du Best of Swiss Web. Il explique ce que cette récompense signifie et les projets de Google en Suisse.

Le prix d’honneur des Best of Swiss Web Awards 2016 revient au Dr. Urs Hölzle, actuel vice-président des infrastructures chez Google. (Quelle: Google)
Le prix d’honneur des Best of Swiss Web Awards 2016 revient au Dr. Urs Hölzle, actuel vice-président des infrastructures chez Google. (Quelle: Google)

Que signifie ce Prix d’honneur du Best of Swiss Web pour vous?

Ce Prix pour le développement de l’internet et de la branche des TIC en Suisse m’honore naturellement beaucoup, mais m’a un peu surpris puisque cela fait maintenant près de 25 ans que je travaille et suis domicilié dans la Sillicon Valley. Toutefois, de par mes visites dans les bureaux de Google à Zurich, ma formation en informatique à l’ETH Zurich et les échanges avec ma famille, j’entretiens toujours un contact étroit avec la Suisse et je suis bien informé sur l’évolution de son environnement technologique. Je me réjouis donc d'autant plus que cette distinction me soit octroyée.

Quelle est l’importance d’internet pour vous personnellement?

Depuis quelques années, j’ai un autocollant sur mon laptop où l’on peut lire «My other computer is a data center». On a du mal à s’imaginer comment nous avons pu travailler sans la technologie IP. La Toile m’accompagne depuis des décennies, depuis que j’ai travaillé la première fois avec le protocole TCP/IP durant mes études d’informaticien à l’ETH Zurich. J’ai aussi suivi les travaux de Tim Berners-Lee et de Robert Cailliau, qui ont développé le WWW et démocratisé l’accès à internet (NB: Robert Cailliau a remporté le Prix d’honneur du Best of Swiss Web 2010). Sans aucun doute, la Toile m’a accompagné en permanence ces dix dernières années. J’ai pour ainsi dire évolué avec le web. Qui plus est, en tant que Suisse de l’étranger, je me rends compte à quel point le web m’aide à rester proche de la Suisse.

Vous étiez professeur d’informatique à l’Université de Californie. Qu’est-ce qui vous a alors poussé à travailler pour une petite boîte comme Google, qui devait encore lutter pour survivre?

J’ai fait la connaissance de Larry et Sergey et de leur projet de moteur de recherche Google lors de mon séjour en Californie. Contrairement aux Hautes Écoles en Europe, l’Université de Californie ou de Stanford étaient déjà à l’époque bien plus que des institutions d'enseignement supérieur. Elles étaient plutôt un lieu de rencontre pour les personnes partageant les mêmes intérêts, et l’on avait déjà des contacts étroits avec l’industrie. Et il était normal qu’étudiants et professeurs s’engagent activement dans des start-up. Le projet Google était incroyablement fascinant, et j’y ai vu un grand potentiel. De plus, la collaboration avec le noyau de l’équipe entourant Larry et Sergey m’a beaucoup plu, j’y suis donc resté et je peux dire au bout de 17 ans que je ne le regrette pas du tout.

A l’époque, vous êtes intervenu en faveur de Zurich comme pôle de développement de Google. Vous êtes en quelque sorte le parrain de Google Suisse. Quel rôle a joué le temps que vous avez passé à l’ETH?

Ayant fait mes études à l’ETH Zurich, je savais pertinemment bien que la Suisse et ses Hautes écoles forment des informaticiens hautement qualifiés. L’ETHZ et l’EPFL figurent parmi les institutions les plus renommées au monde dans le domaine de l’informatique. En 2002/2003, quand nous cherchions un site de développement pour Google en Europe, cette excellence de la formation en informatique a joué un rôle décisif dans notre choix. Aujourd’hui encore, Google est engagée dans de nombreux projets de recherche et développement en partenariat avec l’ETH,. Il y a quelques mois, nous avons conclu un contrat-cadre pour développer en commun de nouveaux projets de recherche de mnaière plus simple. Le partage de connaissances entre les scientifiques et les entreprises enrichit l'écosystème suisse et les start-up locales. 

En quoi le pôle Zurich se distingue-t-il de Londres ou de Berlin? Ces deux villes sont connues pour être plus branchées et cosmopolites; Berlin est aussi plus économique.

Outre les diplômés en informatique hautement qualifiés de l’ETHZ/EPFL, la Suisse et Zurich offrent à une entreprise telle que Google de nombreux avantages, que je connais très bien de par mon origine – notamment une situation géographique au centre de l’Europe, une excellente desserte et infrastructure de transports ou encore une excllente qualité de vie attrayante pour nos collaborateurs. Autant de facteurs qui plaidaient en 2004 et qui plaident encore pour développer depuis la Suisse des innovations pour les utilisateurs du monde entier. Il y a dix ans, Berlin n’avait aucun crédit en la matière. Zurich offre en outre de nombreux atouts spécifiques par rapport à notre siège de Montain View, et même davantage que Londres, malgré sa proximité linguistique avec la Californie.

Quelles auraient été les chances de Google si la société avait été suisse?

Ce n’est pas facile à dire après coup. Mais l’essor de l’industrie IT dans la Silicon Valley dans les années 90 a certainement joué un rôle capital pour Google. A cette époque, il régnait une atmosphère de renouveau et il ne manquait pas de cerveaux, d’idées créatives et aussi d’une demande croissante en développements logiciels et web. L’avancée technologique a également donné de l’élan à Google. Quant à la Suisse, l’histoire a en effet montré qu’une entreprise helvétique peut parfaitement se hisser parmi les plus grands leaders mondiaux. On le voit dans l’horlogerie, la banque, la santé et la production industrielle: de nombreux acteurs économiques internationaux viennent de Suisse. Par ailleurs, il me semble que la Suisse est un vivier de start-up dynamiques, notamment dans la biotech et le web. Les entreprises suisses n'ont franchement pas à se cacher en matière d’innovation.

Quels sont les autres projets de Google en Suisse?

Notre site à Zurich emploie aujourd’hui plus de 1600 collaborateurs de 75 nationalités, qui travaillent à des produits utilisés et appréciés quotidiennement par des millions d’individus du monde entier. Le moteur de recherche Google, Google Maps, Youtube et des services cloud comme Gmail et Google Calendar: toutes les innovations pour ces services ont vu le jour à Zurich. Nous voulons continuer à investir en Suisse et nous avons d’ailleurs annoncé notre prochain emménagement dans des bureaux de l’Europaallee, à proximité de la gare centrale de Zurich. En tant que Suisse, je me réjouis tout particulièrement que le site de Zurich se développe de façon si positive.

Quels conseils pouvez-vous prodiguer aux start-up web suisses?

Premièrement, les jeunes pousses devraient se risquer à de nouveaux modèles d’affaires – sans quoi l’innovation vient de quelqu’un d’autre. Deuxièmement, leur marché cible devrait être le monde et non pas la Suisse. Le web est après tout «worldwide» et ce de plus en plus. Les marchés émergents en ligne sont en plein essor. Troisièmement, les clients, partenaires, investisseurs et les autres intervenants externes sont de plus en plus connectés via le cloud. Ce sont tous des garants potentiels de succès.

Vous étiez le huitième collaborateur de Google. Comment a évolué l’entreprise depuis lors?

Google aura 18 ans cette année, la société est encore une adolescente, même si elle grandit peu à peu. Nous voulons conserver l’esprit de start-up, même si nous sommes désormais une entreprise internationale. Et nous pouvons être fiers d’être passés d’une jeune pousse se concentrant exclusivement sur un service – le moteur de recherche Google – à une entreprise proposant différents services web orientés vers le futur. Mais l’aventure ne fait que commencer: nous ne sommes qu’à l’aube d’un développement fulgurant du cloud computing.

C’est aussi vous qui allez le déterminer ce futur, puisque vous êtes responsable de l’infrastructure de Google. Dans quelle mesure les datacenters de Google portent-ils votre signature? 

Depuis les débuts de Google, je suis responsable du développement des centres de calcul, qui se sont de plus en plus internationalisés au fil des années. Mais en réalité, je joue plutôt le rôle de chaperon, toutes les innovations sont le fruit de mon excellente équipe.

Vos principaux rivaux dans l’activité cloud sont actuellement Amazon Web Services, Microsoft Azure de Microsoft et IBM Softlayer. Quels concurrents seront importants pour Google à l’avenir?

Nous nous concentrons sur nos clients, pas sur la concurrence. Le cloud n’en est encore qu’à ses balbutiements. Actuellement, peut-être 2 à 3% des charges IT sont stockées dans un cloud. Le domaine est donc grand ouvert et le fournisseur possédant le meilleur produit et le plus haut degré d’innovation s’imposera comme leader. Google n’avait ni le premier moteur de recherche, ni les premières cartes en ligne, ni le premier service de messagerie en ligne, mais nous sommes parvenus à développer dans tous ces segments un meilleur produit, qui est utilisé et apprécié par des millions d’individus dans le monde entier. Nous pouvons réitérer cette réussite pour le cloud – ce n’est pas garanti certes, mais tout à fait possible. Voilà pourquoi de nombreuses entreprises renommées nous font confiance– de Coca-Cola à Snapchat, en passant par Disney et Spotify.

Les datacenters sont toujours gourmands en énergie. Quels sont les projets de Google pour concevoir des centres de calcul «verts»?

Au-delà de l’extensibilité et la sécurité, Google est l’une des premières entreprises dans l’industrie informatique à avoir misé très tôt sur les infrastructures à haute efficacité énergétique. Le label «Green Energy» revêt une grande importance chez Google, ce qui me motive aussi personnellement en tant que membre du Conseil d’administration du WWF aux Etats-Unis. En fin d’année dernière, nous nous sommes par exemple fixé l’objectif ambitieux qu’à l’avenir nos centres soient alimentés à 100% par des énergies renouvelables. A cet effet, nous investissons dans des sources d’énergie entièrement nouvelles parce que nous désirons véritablement progresser dans le domaine. En effet, les Certificats Verts ne fonctionnent pas, car ils ne font que modifier la comptabilité et pas l’alimentation électrique en soi.

Le cloud est-il juste une phase transitoire? Qu’est-ce qui le supplantera ensuite?

Je pense que le cloud restera, en tant que solution globale éprouvée. Ses avantages sont énormes et fondamentaux. Pour le moment, je ne vois pas ce qui pourrait supplanter le cloud. Par expérience, cela peut toutefois aller très vite – laissons-nous surprendre et voyons voir ce que l'avenir nous réserve!


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