Interview

Jörg Behrend, Bacardi: «Nous optons pour du SaaS partout où cela est possible»

| Mise à jour
par Interview: Rodolphe Koller

L’IT de Bacardi a consolidé un environnement applicatif fragmenté en recourant systématiquement au cloud. Explications avec Jörg Behrend, Global CIO, et Guy-Laurent Arpino, ex-CIO Europe.

Guy-Laurent Arpino, CIO Europe, et Jörg Behrend, Global CIO de Bacardi, au siège genevois de l’entreprise de spiritueux (ndlr: G.-L. Arpino a depuis quitté Bacardi pour devenir CIO de Louis Dreyfus Commodities). (Quelle: ICTjournal)
Guy-Laurent Arpino, CIO Europe, et Jörg Behrend, Global CIO de Bacardi, au siège genevois de l’entreprise de spiritueux (ndlr: G.-L. Arpino a depuis quitté Bacardi pour devenir CIO de Louis Dreyfus Commodities). (Quelle: ICTjournal)

Bacardi est engagé dans une transformation ­profonde de son organisation. Quels en sont les motifs et les dimensions?

Jörg Behrend (JB): L’initiative One Bacardi a pour objet de nous faire passer d’une approche business locale et fragmentée vers une approche globale et consistante. Et cela s’applique tant à notre manière d’approcher le marché, que de vendre nos produits, de développer nos collaborateurs, ou de supporter les services à l’aide de l’IT. Ce besoin de changement s’explique par l’histoire de la société. Bacardi est une entreprise familiale qui a été créée en 1862 et pendant un siècle, elle n’a vendu qu’un seul produit – le rhum Bacardi. Puis l’entreprise s’est diversifiée en acquérant avec succès de grandes marques, chacune venant avec son propre système de distribution, sa propre informatique, etc. Tant que les chiffres étaient au rendez-vous, on a laissé ces entités agir différemment. Mais le succès grandissant a fait réagir la concurrence, les marges et les parts de marché ont été mises sous pression, il y a eu des changements à la tête de l’entreprise, jusqu’à ce que l’on réalise et décide qu’il fallait désormais gérer le business d’une façon davantage globale, comme une seule organisation, en trouvant le juste équilibre entre centralisation et autonomie. Cela concerne toutes les fonctions dont l’IT. Et nous sommes bien placés pour savoir que certains éléments gagnent à être centralisés, comme l’ERP, alors que d’autres doivent respecter les spécificités des différents marchés, typiquement au niveau des outils de marketing et de vente.

Quel était l’état de fragmentation de l’IT avant d’initier cette transformation?

JB: Du côté des utilisateurs, nous avions par exemple plusieurs centaines de modèles de laptops différents, nous n’avions pas d’image globale, pas d’approche centralisée du licensing, même pas de réseau homogène. Nous avions aussi 1600 applications de toutes sortes, divers ERP implémentés différemment et presque toutes les applications best-of-breed du marché. Elles n’avaient qu’une chose en commun: elles pouvaient toutes être consolidées via des astuces diverses dans Oracle Financial Analyzer. C’était la seule plateforme globale du fait de l’intérêt pour le siège d’avoir tous les chiffres à des fins de reporting. Si bien qu’en faisant abstraction des systèmes spaghetti, les
processus business eux-mêmes étaient relativement
archaïques.

Guy-Laurent Arpino (GA): Idem au niveau commercial: la gestion des processus de vente était disparate, il y avait de multiples solutions de business intelligence de différentes générations dispersées sur les marchés. Au niveau du marketing digital, il y avait quelque 70 fournisseurs technologiques interagissant avec les agences, il n’y en a aujourd’hui plus qu’un.

Comment s’y prend-on pour mettre de l’ordre dans une telle hétérogénéité?

JB: Il a fallu faire un grand travail d’analyse, mais avant cela, il y a eu au niveau organisationnel l’établissement d’une équipe dirigeante ayant l’envergure, la profondeur et l’expérience pour s’attaquer à cette situation. Il faut des managers expérimentés à même d’imaginer ce à quoi pourrait ressembler la situation finale et de comprendre l’immense fossé à combler. Nous avons la chance d’avoir pu constituer dans l’IT des équipes globales réunissant ces compétences et cette expérience pour chacun des composants, qu’il s’agisse de réseau, de systèmes financiers, de master data, de marketing ou de BI. Dès que ces gens ont été réunis, ils ont compris ce qu’était la mission et on a pu commencer à faire des propositions et à prendre les premières décisions.

Quels choix stratégiques avez-vous faits?

JB: Nous avons voulu profiter du retard que nous accusions pour opérer un véritable saut quantique. Au lieu de nous diriger vers une architecture client serveur nécessitant des milliers de machines et 150 collaborateurs pour les opérer, nous avons décidé d’aller vers le cloud avec les risques et dilemmes que cela implique. Depuis trois ans, nous optons donc pour du SaaS partout où cela est possible et réduisons nos actifs au minimum. C’était une décision audacieuse, car nous ne savions pas à l’époque si SAP fonctionnerait correctement sur un cloud multi-tenant. Sur la base de ces décisions de fond, nous avons construit le reste. Nous avons par exemple déplacé tous nos assets marketing sur AWS et migré l’entier de notre plateforme ERP,BI (BO + BW on Hana) et la plateforme finance dans les services cloud managés d’IBM. Nous utilisons aussi Workday comme solution de ressources humaines, SAP HANA pour le plan des ventes et des opérations (S&OP) en mode SaaS.

GA: Le même paradigme vaut pour les services de marketing digital. Nous employons Wordpress pour la gestion des contenus web et Exacttarget pour les e-mailing. Et pour la vente nous utilisons la solution Mobile Touch d’Asseco en mode SaaS.

Et pour la bureautique, êtes vous aussi passé sur une solution SaaS?

JB: Effectivement, nous utilisons désormais Office 365. Mais, à la différence d’autres sociétés, nous sommes vraiment sur la plateforme publique et pas sur une infrastructure dédiée. Nous sommes stricts sur cet aspect, car c’est, à notre avis, la seule façon d’avoir un vrai business case et de réaliser des économies substantielles.

GA: Ce qui compte, c’est vraiment le modèle économique de coût à l’usage. Dans le cadre de notre transformation, il nous est d’ailleurs arrivé de négocier des abonnements par utilisateur avec certains fournisseurs qui n’avaient pas encore de véritable offre SaaS.

Comment abordez-vous les défis d’un environnement entièrement cloud, en matière de sécurité, d’intégration ou de connectivité?

JB: Nous ne sommes pas une banque et nous sommes moins soumis à des régulations que d’autres secteurs. Nous avons simplement mis en place une cloud policy, que nos fournisseurs doivent signer. En termes d’intégration, nous nous appuyons sur une solution de master data et sur les outils de connexion de nos fournisseurs. En fait, il est plus aisé d’intégrer des solutions cloud que des logiciels installés, car vous n’avez à vous occuper que de l’intégration, et pas de la complexité de l’application elle-même.

GA: Tout est intégrable, la question est de savoir quel effort cela représente. Avec cette réorganisation, nous sommes davantage des intégrateurs, et moins des constructeurs. Nous faisons attention à notre architecture, qui est la clé de notre succès.

JB: En ce qui concerne le réseau, nous disposions d’un backbone MPLS qui était un peu surdimensionné et qui s’est avéré supporter très bien le nouvel environnement. Par ailleurs, une grande partie du trafic part désormais sur internet, si bien que notre réseau interne est moins sollicité. Nous avons pu réduire les coûts exorbitants des liens MPLS par des liens internet très économes. De fait, depuis 2011, nous avons pu réduire de moitié nos coûts réseau.

Où en êtes vous aujourd’hui de ce programme de transformation?

JB: Le programme est achevé à 75%. Nous sommes déjà passé de 1600 à seulement 350 applications et nous voulons au final n’en avoir plus qu’une cinquantaine. Le dernier environnement clé que nous déployons concerne le planning business intégrant les composantes commerciale, financière et logistique. Il n’y a que peu d’entreprises atteignant ce niveau d’intégration, la plupart
recourent encore ici et là à Excel. En termes de ressources, nous comptons aujourd’hui quelque 200 collaborateurs. Mais le plus important c’est qu’ils ne sont plus rattachés à des structures locales. Ce qui nous permet de les redéployer facilement en fonction des demandes. Nous avons aussi maintenant une vraie stratégie en matière de localisation, avec notamment des centres de compétences à Manille et à Winchester au Royaume-Uni.

GA: Toutes ces dimensions font partie de notre programme stratégique de renforcement de l’organisation IT. Nous sommes repartis de zéro pour définir comment nous travaillons, comment nous sommes organisés, comment nous communiquons et quelles sont nos compétences clés. Les rôles des collaborateurs ont eux aussi été redéfinis, ainsi que la manière dont nous les formons, les motivons et les accompagnons dans leur développement.

JB: Tout ceci nous a permis de générer des gains d’efficacité dans les fonctions business. Des indicateurs clés comme le time to pay et le time to innovate ont fortement diminué. D’une année à l’autre, le coût des opérations IT a baissé de 7 à 10%, nous avions nous-mêmes du mal à y croire…

GA: Au niveau européen, nous sommes passé d’un budget de 17 millions de dollars à 12 millions de dollars. Simplement en récoltant les fruits  du travail réalisé à l’échelon global.

Quels sont vos chantiers et vos prochains défis?

JB: Nous disposons aujourd’hui de l’architecture et des plateformes pour nous atteler à de nouveaux chantiers dans des domaines tels que l’internet des objets ou le marketing digital. Nous pourrions sans doute introduire d’avantage d’intelligence dans le marketing, typiquement avec du social listening et de l’analyse de données. Nous ne sommes pas encore en mesure de décider de produire davantage de mojitos parce que l’été sera chaud. Mais la logique se met en place. Il faut encore des responsables métiers qui échafaudent le business case, ce n’est pas le rôle de l’IT. Au final, je dirais que nous disposons désormais d’une bonne base nous permettant de répondre aux besoins de l’entreprise. Il nous faut la conserver, garder le rythme et continuer à être pertinents.

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