Marketing vs. Privacy

Vos clients sont-ils prêts à se dévoiler?

| Mise à jour
par Rodolphe Koller

Toutes les entreprises ne sont pas Facebook ou Amazon et obtiennent difficilement les données personnelles de leur clientèle. Bien qu’échaudés par des pratiques abusives, les clients sont toutefois disposés à se dévoiler en échange des contreparties utiles.

La plupart des entreprises en savent beaucoup moins sur leurs clients que Facebook et Google. Elles en savent aussi moins que les e-commerçants Amazon ou Zalando. Non seulement elles ignorent les détails des profils et comportements de leurs clients, mais elles ne savent souvent même pas qui ils sont, en particulier lorsque ceux-ci achètent via les canaux de distribution physiques. Alors que les données personnelles font figure de nouvel eldorado du marketing, il y a de quoi être envieux. Sans ces informations, nulle possibilité d’analyse intelligente et donc nulle capacité à améliorer le ciblage et la pertinence des promotions, nulle base pour développer des produits et services personnalisés.

Contraintes techniques et légales

Collecter, analyser et conserver les données personnelles de la clientèle n’est cependant pas une tâche aisée. Ainsi, l’infrastructure IT et l’arsenal logiciel (CRM, analytics) de l’entreprise doivent être adaptés pour héberger, intégrer et analyser ces informations sensibles. A ces contraintes techniques s’ajoutent des contraintes légales. Fer de lance en matière de privacy, la Commission Européenne s’est accordée en décembre dernier sur une réforme de la protection des données dans l’UE, susceptible d’orienter l’évolution de la législation suisse. Le nouveau texte européen sur la protection des données prévoit notamment de donner aux utilisateurs un accès plus simple à leurs données, un «droit à l’oubli» clarifié et l’obligation pour les entreprises de signaler si elles ont été victimes d’un accès non-autorisé aux données personnelles qu’elles conservent – un changement majeur par rapport aux pratiques des organisations qui cherchent en général à taire ce genre d’incident… La réforme invite par ailleurs les entreprises à mettre en œuvre des techniques telles que l’anonymisation, la pseudonymisation et le chiffrement des données personnelles.

L’attitude paradoxale de la clientèle

Ce cadre technico-légal en place, rien n’indique cependant que les clients seront prêts à se dévoiler. Les scandales à répétition liés à des fraudes, au vol de données, à des usurpations d’identité, mais aussi des publicités si précises qu’elles en deviennent inquiétantes, ont fini par rendre les clients et utilisateurs plus attentifs, voire méfiants quant à la manière dont leurs données personnelles sont protégées, utilisées et partagées. Comme en atteste l’adoption grandissante de solutions de communication chiffrées, l’essor des ad blockers ou les quelque 10'000 demandes de suppressions d’URL adressées par des résidents suisses à Google.

En même temps, comme le relève Leslie John, professeure assistante à la Harvard Business School, l’attitude des utilisateurs en matière de privacy est souvent paradoxale. Les gens aiment partager des informations sur eux-mêmes - les succès de Facebook et d’Instagram sont là pour le prouver. Ils ne lisent pas les conditions de protection des données – elles sont trop longues et compliquées. Ils révèlent plus volontiers des informations à une machine – Google, par exemple - qu’à un être humain. Ils adaptent leurs comportements aux protections qui leur sont offertes et ils tendent à «faire comme tout le monde».

A cela s’ajoute que les clients sont désireux de profiter de services davantage personnalisés et pertinents et qu’ils se sentent frustrés lorsqu’on leur redemande maintes fois la même chose. Mais ils ont aussi compris que leurs données ont une valeur marketing, qu’ils ne sont pas prêts à céder contre rien en échange…

Révéler ses données dépend de la situation

Face à ces paradoxes, les entreprises désireuses de connaître leurs clients sont confrontées à un double défi. Mettre en œuvre des pratiques intelligentes et mesurées propice à l’établissement d’une relation de confiance et proposer de manière opportune des contreparties alléchantes convaincant les clients de partager leurs données personnelles.

A cet égard, l’éditeur BSI spécialisé dans le CRM, s’est livré à une enquête particulièrement intéressante. En collaboration avec la HES de Zurich, ils ont sondé près de 200 élèves de la haute école pour comprendre si et dans quelles conditions les étudiants voyaient un avantage à révéler leur identité à un commerce. Là aussi des paradoxes apparaissent. Ainsi, de manière générale, une large majorité des participants à l’étude se préoccupent de connaître l’usage qui sera fait de leurs données et craignent qu’elles ne soient partagées. Placés devant une situation concrète –l’achat de billets pour un festival open air -, ils se montrent néanmoins bien plus ouverts et disposés à s’identifier pour bénéficier d’une réduction. 43% des participants sont prêts à répondre à un sondage et à devenir fan de l’organisateur sur Facebook en échange d’un rabais de 10%.

La disposition à dévoiler son identité est donc loin d’être uniforme et dépend de l’appréciation subjective de chaque personne. Nonobstant les résultats de l’étude de BSI signalent certaines tendances. Ainsi, 79% des étudiants interrogés révèlent volontiers qui ils sont lorsqu’ils effectuent des «achats de prestige», tels qu’un sac Louis Vuitton ou des écouteurs Bose. Et ceci déjà lors de la recherche du produit ou de l’entretien avec un vendeur. Ils rechignent en revanche à s’identifier lors d’achats courants (46%), lors d’achats spontanés, notamment en kiosque (53%) et plus encore lors d’achats intimes, comme des médicaments ou de la lingerie (63%).

Que proposer en échange des données personnelles?

Il est ainsi bien plus difficile pour un libraire ou une boutique de jeans d’obtenir les données de ses clients que pour une e-commerçant ou une marque d’horlogerie. Sans parler des Facebook et autres Google qui peuvent même se permettre de forcer leurs utilisateurs à s’identifier tant leur offre est attractive. Les commerces «classiques» disposent toutefois d’un levier pour augmenter la propension de leur clientèle à s’identifier: lui offrir quelque chose en échange ayant de la valeur du point de vue du client. Et les incitations possibles ne manquent pas: bons et rabais, cadeaux, conditions spéciales de paiement ou de garantie, service personnalisé dans la boutique, commandes basées sur l’historique, livraison à domicile, shopping privé hors des heures d’ouverture, etc.

Là encore, l’attractivité et l’efficacité de ses actions dépendent du secteur commercial et de la clientèle. Du côté des étudiants sondés par BSI, les incitations les plus efficaces sont les rabais, les notifications que la marchandise est disponible, un conseil personnalisé et un processus d’achat accéléré. En revanche, la reconnaissance des habitudes d’achat ou la possibilité de participer à un concours ne semblent guère motiver les étudiants à se dévoiler (voir graphique en galerie).

Pour les auteurs de l’étude, les contreparties non-monétaires doivent néanmoins être privilégiées. Parce qu’elles coûtent moins, évidemment, mais aussi par ce qu’elles sont difficilement copiables et qu’elles participent à la fidélisation du client. Les incitations liées au service offert ont de plus le grand avantage qu’elles contribuent à augmenter la valeur perçue de ce service.

Des demandes modérées et contextualisées

En fin de compte, les clients sont davantage disposés à s’identifier dans des situations concrètes avec des contreparties utiles et faisant sens dans leur contexte particulier. Ils ne font que réclamer un échange transparent non-intrusif et aux bénéfices réciproques. Dans un rapport sur ce sujet, le cabinet Forrester recommande ainsi aux entreprises de mettre en œuvre une privacy contextuelle à la fois modérée et tenant compte de la situation dans laquelle se trouve le client (voir encadré en galerie).

Une pratique d’ailleurs en œuvre dans des entreprises suisses pionnières en la matière. A l’instar de Migros, qui a amélioré depuis 2015 l’analyse des données de son programme Cumulus pour envoyer des bons de rabais mieux ciblés, avec à la clé des taux de réponse bien plus élevés. En échange, les clients enregistrés obtiennent des services additionnels, tels que des listes d’achat digitales, le self checkout ou la possibilité de tester et d’évaluer des produits. Autre exemple, Nespresso, qui connaît très bien les habitudes d’achat de ses clients online, leur offre la possibilité de demander leur commande habituelle s’ils s’identifient dans une boutique.

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9040

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