Interview

Ivo Furrer, SwissLife: «Nous ne sommes pas des fanatiques de la digitalisation»

| Mise à jour
par Interview: George Sarpong

L’informatique de Swiss Life a vécu une année mouvementée: digitalisation, changement de CIO, transformation du département IT. Ivo Furrer, CEO Suisse, et Beat Marbach CIO Suisse, expliquent comment l’IT et le business ont opéré un rapprochement symbiotique.

Récemment intégré au comité de direction suisse, Beat Marbach est responsable du département IT de SwissLife depuis le début de l’année 2015. Qu'est-ce qui a motivé cette nomination?

Ivo Furrer: Son prédécesseur, Peter Sany, avait travaillé dans de grandes entreprises comme Deutsche Telekom. Mais SwissLife est tune entreprise nettement plus petite qui requiert un autre mode de travail davantage opérationnel. Beat Marbach et moi travaillons très bien ensemble depuis près de six ans, c’est pourquoi j'ai décidé de mettre en place notre programme IT avec lui et de lui en confier la direction.

Pourquoi donc cet interlude d'une année avec Peter Sany en tant que CIO?

IF: Le moment n'était pas encore propice pour le changement. Maintenant nous sommes prêts.

Monsieur Marbach, qu'avez-vous modifié par rapport à votre prédécesseur? 

Beat Marbach: Nous avons avancé sur la nouvelle orientation du département IT et convenu d’une feuille de route avec le business. Cela ne s'est pas fait du jour au lendemain, le processus a été lancé à la fin de l'année dernière. L'objectif était d'abandonner les méthodes de travail et de développement traditionnelles. Au fil du temps, nous avons non seulement appris à comprendre des méthodes modernes telles que Scrum et le développement Agile, mais aussi à les appliquer avec succès. C'est une condition indispensable vu que nous planifions de lancer beaucoup de produits, certains étant en partie déjà réalisés.

Pouvez-vous en donner un exemple?

BM: Au début de l'année, nous avons lancé pour nos clients un nouveau portail baptisé My World. Les utilisateurs peuvent y trouver toutes les informations sur les premier, deuxième et troisième piliers ainsi que l'assurance-maladie, les hypothèques et le financement immobilier. Ce qui est intéressant dans ces solutions, c’est que nos clients peuvent définir eux-même leur situation et leurs besoins et les calculer en ligne, en temps réel. Ils obtiennent ainsi immédiatement les mêmes informations que celles que leur fournirait un conseil personnalisé. En outre, ils peuvent directement acheter en ligne le produit de leur choix. Nous en sommes actuellement à la troisième release 3 sur les sept qui sont prévues cette année. Nous avons donc encore du pain sur la planche.

Que pensent vos conseillers de ce conseil en ligne?

IF: Le conseil personnalisé restera toujours très important dans les activités de prévoyance. Toutefois, avec les possibilités numériques, la situation initiale change – pour les clients comme pour les conseillers. Beaucoup de nos collaborateurs sont enthousiasmés par les nouvelles solutions, car elles offrent une évidente plus-value pour le business. Ces collaborateurs se demandent ce que peut leur apporter le numérique, tant sur le plan personnel que professionnel. Bien entendu, certains conseillers sont au contraire réticents à l'idée que leurs clients arrivent très bien préparés à un entretien de vente grâce à nos offres en ligne. On trouve enfin des conseillers, qui, pour des raisons tout à fait compréhensibles, craignent les changements. C’est à nous de les convaincre des avantages que présentent les nouvelles technologies, en leur montrant les opportunités qu'elles offrent. Par exemple, ils peuvent désormais mener un entretien-conseil optimal, d'égal à égal avec des clients mieux informés. Et constater ainsi que les clients ont encore et toujours besoin d'eux.

Que signifie la digitalisation en termes de gestion d'entreprise? L'IT indique-t-elle la voie à suivre au business?

IF: Les responsables métiers de la direction accompagnent le développement des nouveaux applicatifs, de la conception au déploiement. Ainsi, la hiérarchie dans notre entreprise est claire: l'IT est au service du business. Cela signifie aussi que le métier doit transmettre ses exigences au département IT avec des normes claires. Ceci n'étant possible que si le business poursuit des objectifs clairs. Dans l’autre sens, nous dépendons aussi côté business des nouvelles idées émanant de l'IT. Celle-ci doit donc donner des directions et répondre à la question: que pourrions-nous encore vouloir si nous savions que cela existe? Les nouvelles formes de publicité interactives en sont un bon exemple. Nous pourrions aujourd’hui employer des solutions interactives pour entrer en contact avec des clients potentiels à des arrêts de bus et reprendre l'entretien le soir, là où il a été interrompu..

Vous êtes donc stimulés par par les nouvelles possibilités du digital?

IF: Nous ne sommes pas des fanatiques de la digitalisation. Nous la considérons comme une opportunité que nous saisissons. Si nous ne concrétisons pas une idée, l'un de nos concurrents le fera. Les moyens techniques sont là. Pour nous, il s'agit d'être un leader plutôt qu’un suiveur. Nous voulons être dans le peloton de tête et montrer de nouvelles possibilités plutôt que de plagier les solutions élaborées par d’autres.

BM: C'est une symbiose, l'IT et le business sont interdépendants. Ils se soutiennent et se stimulent mutuellement. Cela nous permet d'évoluer ensemble.

IF: Parallèlement au processus de transformation de notre département IT, le business se transforme lui aussi et passe de la fonction de pur assureur vie à celle de fournisseur de solutions complètes en matière de prévoyance et de finances. Cela n'est possible que si l’IT et le métier collaborent étroitement.

Quels sont les défis de la stratégie digitale pour le département IT?

IF: Avant, nous utilisions les méthodes en cascade ou apparentées, qui étaient standard il y a quelques années. Ces méthodes seraient aujourd’hui trop lentes pour réaliser nos projets à la vitesse désirée et lancer nos produits sur le marché.

BM: Nous avons adapté nos méthodes de travail et recourons désormais davantage au prototypage rapide. En outre, nous ne développons plus tout nous-même, notamment les fonctionnalités et contenus pouvant aujourd'hui être connectés via un SaaS. Cette orchestration de systèmes et les méthodes de développement actuelles permettent une mise en œuvre plus efficace, à des prix réels et dans des cycles plus courts. Nous combinons donc intentionnellement un insourcing et un outsourcing ciblés, c’est-à-dire de l’outtasking.

En externalisant, vous avez réduit le personnel du département IT…

BM: Avec notre réorientation, nous avons réduit l'effectif à 300 collaborateurs pour pouvoir réagir avec plus de souplesse et d'agilité. Mais nous n’avons pas fait que réduire les effectifs, nous avons aussi transformé la mentalité et la manière de travailler. Nous sommes passés d’un mode de travail centré sur le hardware à un mode centré sur le software. Si bien que nous disposons aujourd'hui d'une IT interdisciplinaire, intégrant bien davantage que le traditionnel savoir-faire informatique. En cours de route, nous avons réalisé des projets pilotes qui nous ont permis de prouver que les nouvelles méthodes étaient fondées. Ceci dit, ce n’est qu'avec le soutien de la direction que nous n'avons pu vaincre les réticences et insuffler le changement. Aujourd'hui, les applications ne sont plus développées pour durer des années, mais seulement 18 mois par exemple. Tandis que les données doivent être soigneusement conservées pendant des décennies.

Comment se compose l'équipe aujourd'hui?

BM: 60% de nos collaborateurs sont d’anciens employés engagés avant la restructuration et 40% sont de nouvelles recrues. Nous travaillons aussi ponctuellement avec des collaborateurs externes. L’essentiel n’étant pas l’intermédiaire, mais le choix du spécialiste adéquat. Nous investissons beaucoup de temps dans le recrutement, car nous voulons nous assurer que les externes s'intègrent bien dans l'équipe. Nous les traitons de la même manière que nos collaborateurs internes, et ils participent aux évènements d'équipe. Cette intégration nous a permis de réaliser des économies.

Comment motivez-vous vos collaborateurs?

BM: Nous éveillons en eux des ambitions, nous leur montrons les opportunités qui s’offrent. Chez nous, les développeurs peuvent vraiment réaliser des projets ambitieux, et pas seulement décrire un concept. C’est bien plus motivant qu’une augmentation de salaire. A condition bien sûr que les rémunérations se situent à un haut niveau, ce qui est le cas chez nous.

IF: Motiver les collaborateurs signifie aussi célébrer ensemble les objectifs atteints. Ce qui renforce le sentiment d’appartenance. C’est ce qui nous permet de lancer rapidement de nouveaux produits ou de nouvelles versions des produits existants.

Pour développer de nouvelles idées, vous vous êtes rendu aux USA. La Suisse est pourtant considérée comme l'un des pays les plus novateurs de la planète…

BM: La Suisse se caractérise effectivement par un fort potentiel d'innovation. Cela ne fait aucun doute. Mais il est parfois bon de sortir de son environnement et de se comparer objectivement à d'autres modes de pensée et de mise en œuvre. De voir ce qui occupe d'autres firmes, dans quels domaines elles ont une longueur d'avance et pourquoi. Ou de tirer les enseignements de nos erreurs. Nous nous sommes rendus aux Etats-Unis pour nous pencher sur la question de l'innovation.

Grâce au SwissLife Lab, vous avez désormais créé votre propre laboratoire d'idées. Qu’en est-il concrètement?

IF: Le SwissLife Lab est un véritable laboratoire. Nous y expérimentons des projets susceptibles d’aboutir un jour à des produits ou services d'assurance, ou pas. Dans deux ans, nous ferons le bilan et nous verrons si le projet a porté ses fruits. Aucun objectif contraignant n'a été défini. Cela fait également partie du nouveau mode de travail de SwissLife. Il y a cinq ans, nous n'aurions jamais pu réaliser notre SwissLife Lab.

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