Interview

James Larus, EPFL: «Nous voulons engager les pionniers du prochain domaine qui impactera l’IT»

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par Rodolphe Koller

Doyen de la Faculté Informatique et Communications de l’EPFL depuis 2014, James Larus nourrit de grandes ambitions. Cet ancien chercheur de Microsoft veut positionner l’EPFL comme leader des domaines tendances d’aujourd’hui et de demain.

Après avoir fait de la recherche pour le compte de Microsoft, James Larus a rejoint l’EPFL en été 2013. (Quelle: EPFL)
Après avoir fait de la recherche pour le compte de Microsoft, James Larus a rejoint l’EPFL en été 2013. (Quelle: EPFL)

Vous êtes doyen de la Faculté Informatique et Communications (IC) de l’EPFL depuis plus d’une année. Comment se porte la faculté et quelles sont vos ambitions?

Nous sommes dans une situation très enviable. La recherche en Suisse est extrêmement bien soutenue tant par les fonds suisses qu’européens. Nous avons un excellent corps professoral et notre école jouit d’une grande renommée. J’ai la chance d’être dans une situation qui me permet de recruter de nouveaux professeurs. Nous enregistrons une croissance continue du nombre d’étudiants et nous souhaitons leur proposer de nouveaux cours dans des domaines porteurs, comme le data science. C’est un domaine très important pour les sciences informatiques, qu’il s’agisse de big data, de machine learning et plus généralement, de la manière de manipuler et d’obtenir des informations à partir des énormes volumes de données disponibles. C’est une tendance forte et nous voulons en faire une option pour les étudiants de premier cycle d’ici deux à trois ans.

Est-il difficile d’attirer des professeurs à l’EPFL dans des domaines aussi en vogue?

Nous sommes dans un environnement qui évolue à très grande vitesse et c’est un défi de recruter des personnes à la pointe de la recherche, notamment dans le domaine du machine learning. Car nous ne sommes pas les seuls: les autres universités, les start-up, les grandes entreprises établies, toutes veulent engager les meilleurs spécialistes en machine learning. Elles peuvent proposer des salaires largement supérieurs et offrir un accès à d’énormes volumes de données et à des capacités informatiques phénoménales. Si vous avez fait un brillant travail de doctorat en machine learning, nombreux sont ceux qui viendront  frapper à votre porte pour vous engager. Il y a donc beaucoup de compétition. Sans compter que nous voulons non seulement avoir les meilleurs spécialistes dans les thèmes en vogue aujourd’hui, mais aussi développer les thèmes porteurs de demain. Je veux que nous engagions les pionniers du prochain domaine qui impactera l’IT. Et la situation en Suisse est idéale pour le faire, car en tant que professeur, vous jouissez d’un financement assuré. Ce n’est pas le cas aux USA où il est très difficile de développer un nouveau champ de recherche.

Vous avez fait de la recherche aux Etats-Unis. Quelle y est la réputation de l’EPFL dans le domaine informatique?

L’informatique à l’EPFL est désormais très connue aux Etats-Unis. Il y a 20 ans, on ne connaissait que l’EPFZ, alors qu’aujourd’hui l’EPFL publie dans les principales revues, participe aux conférences les plus réputées, engage des professeurs renommés et forme des étudiants qui obtiennent des postes convoités. Tout cela concourt à la réputation de l’EPFL dans le domaine informatique. Nous venons d’ailleurs d’engager deux professeurs de haut vol, l’un qui arrive de Stanford, l’autre de Yale. Nous sommes donc capables d’attirer les meilleurs.

Ces dernières années, l’EPFL a beaucoup fait parler d’elle dans le domaine des biotechnologies. Est-ce difficile d’y faire une place pour l’IT?

Naturellement les biotechnologies et le Human Brain Project ont donné une visibilité énorme à l’EPFL. Mais j’y vois une synergie avec notre faculté. Si vous faites preuve d’excellence dans un domaine et parvenez ainsi à obtenir des fonds importants, tout le monde en profite. Le domaine de la santé est extrêmement prisé. Les conférences informatiques attirent quelques centaines de personnes, mais ils sont des milliers dans les sciences de la vie. Les montants investis sont également bien supérieurs – on ne peut pas récolter un milliard pour un projet de recherche en informatique. Ceci dit, les problèmes à résoudre dans les sciences de la vie sont souvent des problèmes informatiques. Ainsi par exemple le séquençage ADN coûtait des millions et prenait énormément de temps il y a dix ans, alors qu’il se fera en quelques heures et pour quelques centaines de dollars d’ici quelques années. C’est en partie grâce aux progrès en biologie, mais aussi et surtout grâce au travail des informaticiens sur le traitement d’énormes volumes de données. Autre exemple, la question de la confidentialité des données de santé. Si un médecin souhaite accéder aux données de votre génome, faut-il lui donner accès à l’ensemble de vos données? Et comment permettre de faire des recherches sur ces données tout en préservant la sphère privée? C’est un domaine passionnant, qui touche à l’informatique, et dans lequel l’EPFL peut jouer un rôle de pionnier.

Outre la santé, quantité de sciences s’intéressent au potentiel de l’informatique pour leurs recherches. Envisagez-vous davantage de projets interdisciplinaires?

Tout à fait. Si je prends l’exemple de la linguistique, vous pouvez proposer des cours extrêmement intéressants. Les gens qui développent des systèmes de reconnaissance  vocale comme Siri sont des linguistes qui s’appuient sur des techniques de big data et de machine learning. Nous voulons attirer en premier cycle de nouveaux étudiants qui s’intéressent peut-être moins à une carrière dans l’IT ou le développement, mais qui disposent de bonnes bases et souhaitent appliquer les sciences informatiques dans d’autres domaines, comme la santé, l’économie, la linguistique ou le design. Et cela passe notamment par des partenariats avec d’autres institutions, comme nous le faisons avec l’ECAL.  Il faut développer ces collaborations. Nous voulons aussi proposer un master en humanités digitales  avec le Collège des Humanités de l’EPFL et d’autres universités. Nous cherchons d’ailleurs à recruter des professeurs dans ce domaine.

Allez-vous proposer des cours mêlant informatique et business?

L’EPFL dispose d’un College du Management et nous discutons avec eux d’un programme en commun. C’est une collaboration naturelle que nous aimerions proposer en option aux étudiants de premier cycle.  Nous devons toutefois veiller à la charge des étudiants. Les horaires en premier cycle sont lourds et si nous voulons ajouter des cours, il faut en enlever d’autres. Nous réfléchissons donc à distinguer ce qui est central de ce qui pourrait éventuellement être remplacé.

Comment collaborez vous avec l’industrie?

La plupart de nos collaborateurs travaillent sur des sujets qui intéressent l’industrie et nous avons toujours été proches des entreprises. C’est d’ailleurs un aspect qui distingue notre faculté au sein de l’EPFL. Nos professeurs veulent voir leurs idées se matérialiser, et nos étudiants veulent travailler dans l’industrie ou créer des start-up. De plus, nos recherches sont complémentaires à celles de l’industrie. Les entreprises mènent des recherches ciblées avec un horizon de quelques années, alors que nous pensons en décennies et que nous pouvons explorer plus librement. Après, les entreprises futées peuvent intégrer ces recherches en engageant nos étudiants, ce qui est sans doute la meilleure manière de faire du transfert technologique. Les Google, Microsoft ou Intel savent qu’il y a de la recherche intéressante ici et moins de concurrence qu’aux Etats-Unis pour y accéder.

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