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Corporate Venture Capital: stimuler l’innovation en investissant dans des start-up

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Au côté des investisseurs classiques, de plus en plus d’entreprises investissent elles aussi dans des start-up. Pour des motifs financiers, mais aussi pour profiter de cette source d’innovation externe. Principal défi de ces corporate ventures, répondre aux attentes parfois contradictoires de l’entreprise et de la communauté d’investisseurs.

Il y a moins d’un an, la start-up américaine Simplivity, spécialisée dans les infrastructures convergentes, levait 58 millions de dollars de financement. Parmi ses clients, Swisscom. Parmi ses investisseurs, Swisscom également. La société californienne n’est pas la seule à profiter des investissements de l’opérateur. Ces dernières années Swisscom Ventures a investi dans une trentaine de jeunes pousses suisses et américaines pour un montant global proche de 100 millions de dollars. «Nous voulons travailler avec les meilleures start-up de la planète, mais aussi contribuer à l’écosystème technologique suisse, et cela passe aussi par du capital», explique Dominique Mégret, Head of Swisscom Ventures.

Comme l’opérateur, de plus en plus d’entreprises établies investissent dans des start-up et le mouvement concerne autant le secteur informatique, que la pharma, la chimie, les médias ou les biens de grande consommation. Au-delà du possible gain financier, ces initiatives ont pour but de stimuler l’innovation de l’extérieur, d’augmenter la compétitivité des entreprises et d’identifier des changements susceptibles de bouleverser leur industrie. Plus généralement, la collaboration avec les jeunes pousses se veut complémentaire des acquisitions et des activités de recherche et développement menées à l’interne. Elle permet aux entreprises d’innover rapidement et d’élargir leur radar à des innovations situées à la périphérie de leur domaine d’activité.

Le boom du corporate venture capital

Par rapport à d’autres formes de collaboration avec des start-up (incubateurs, accélérateurs, etc.), le corporate venture capital, c’est-à-dire l’investissement direct, présente plusieurs avantages. D’abord, les investissements peuvent dynamiser la demande et le marché où la firme est active. Ainsi, lorsqu’Intel Capital a investi au début des années 2000 dans le logiciel d’analyse vidéo de sport de la société fribourgeoise Dartfish, c’était notamment pour stimuler le développement d’une solution gourmande en puissance de calcul, et donc en puces performantes. C’est aussi le cas du fond iFund lancé par Apple en 2008 pour soutenir des start-up développant des apps pour l’écosystème naissant de l’iPhone. A cela s’ajoute que les firmes investissent en général au côté d’investisseurs classiques (venture capital, VC) et profitent ainsi d’un effet amplificateur. Par ailleurs, lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous, il est plus aisé de se désengager d’un investissement externe que d’abandonner des efforts de recherche et développement entrepris à l’interne, relève Josh Lerner, Professeur à la Harvard Business School, dans un article sur le sujet. Enfin et surtout, investir dans une jeune pousse peut naturellement se révéler lucratif. D’ailleurs, les actions de start-up soutenues par des entreprises enregistreraient en moyenne des performances supérieures dans les trois ans suivant leur entrée en bourse.

Gains en innovation, bénéfices marketing, possible jackpot financier,... tous ces avantages convainquent toujours plus d’entreprises à se lancer dans l’investissement. Selon la Corporate Venture & Innovation Initiative, plus de 1100 sociétés compteraient actuellement de tels programmes, dont près de la moitié seraient nés après 2010. Un essor qui concerne tant le nombre de sociétés, que les deals et les montants investis (voir graphique). Et qui se traduit aussi par le poids croissant du corporate venture capital dans les levées de fonds. Aux Etats-Unis, il représenterait plus de 10% des investissements de capital risque. Au chapitre des firmes actuellement les plus actives en la matière, on retrouve Google (258 millions de dollars dans le service de taxi Uber), Intel (740 millions de dollars dans le spécialiste du big data Cloudera), mais aussi Qualcomm, le japonais Softbank ou le chinois Tencent.

Les exemples de SAP et Swisscom

Avec 1,4 milliard de dollars investis dans quelque 130 start-up, SAP est un poids lourd du corporate venture capital. Créée en 1997, SAP Ventures s’est toutefois séparée de l’éditeur allemand en 2011 pour devenir une firme autonome et indépendante. «Notre objectif premier n’est pas de remplir des lacunes ou d’apporter des innovations à SAP, mais d’investir dans les meilleures start-up proposant des technologies et des modèles d’affaires disruptifs», explique Andreas Weiskam, en charge des investissements en Europe. La société d’investissement reste toutefois proche de SAP avec laquelle elle échange régulièrement. Elle investit d’ailleurs uniquement dans des jeunes pousses actives dans le software ou les services à forte composante logicielle, comme Docusign (signatures électroniques), Criteo (publicité à la performance) ou Scytl (vote en ligne). La société d’investissement privilégie les start-up en later stage, qu’elle soutient avec des montants de 5 à 20 millions de dollars. Ces sommes lui permettent souvent d’agir en tant que lead investor, à l’exception des grosses levées de fonds.

De son côté, Swisscom Ventures intervient plus volontiers comme observateur que comme investisseur principal. «Nous investissons en général moins d’un million au départ et montons jusqu’à 5 ou 6 millions si la société se développe bien», explique Dominique Mégret, en charge de la structure. L’opérateur, qui fait partie des plus importants investisseurs issus des télécoms, investit à part égale dans des start-up suisses et étrangères, c’est-à-dire principalement américaines. «Aux Etats-Unis, nous préférons rester simples observateurs à cause de l’éloignement géographique alors qu’en Suisse, nous sommes plus enclins à prendre la responsabilité de lead investor», précise Dominique Mégret.

Swisscom Ventures focalise ses investissements dans les domaines télécom et IT, avec notamment des investissements dans les start-up romandes Lemoptix et Keylemon. Outre-Atlantique, l’opérateur finance plusieurs sociétés actives dans le cloud, comme Simplivity (infrastructure), Piston (management) et tout récemment Boundary (monitoring). «On ne joue pas au casino. On n’investit que dans des sociétés dont on connaît la technologie», explique Dominique Mégret. Des sociétés dont Swisscom est d’ailleurs souvent l’un des premiers utilisateurs. «Investir est aussi une façon pour nous de profiter de la valeur ajoutée que nous contribuons à créer en tant que client», ajoute le responsable.

Davantage qu’un investisseur

Comme Swisscom, de nombreux investisseurs corporate emploient et testent les produits développés par les start-up qu’elles soutiennent. C’est l’un des éléments qui les distingue des autres capitaux-risqueurs, mais ce n’est pas le seul. «Par rapport aux investisseurs classiques, les firmes peuvent faire profiter les jeunes pousses de leur expertise technologique et de leur connaissance du marché», explique Boris Battistini, chercheur à l’EPFZ spécialisé dans le corporate venturing. Ainsi, les start-up soutenues par SAP Ventures bénéficient dans certains cas de l’écosystème de clients et partenaires SAP. «Nous pouvons notamment aider les jeunes pousses au moment de gagner en échelle et de s’internationaliser», ajoute Andreas Weiskam. Et parfois l’investissement débouche sur un partenariat stratégique, à l’instar de l’accord de distribution conclu récemment entre SAP et Apigee, une start-up spécialisée dans la gestion des API.
Pour Dominique Mégret, ce soutien non-financier est un atout de Swisscom Ventures: «L’aide la plus importante c’est de passer des commandes, d’être un client. Un million donné par un client a plus de valeur qu’un million donné par un capital risqueur». L’opérateur fait aussi profiter les start-up de son réseau dans le monde des télécoms: «On présente la solution aux opérateurs avec lesquels on est en relation. C’est un petit monde auquel il peut être difficile d’accéder pour une start-up». Dominique Mégret cite pour exemple la société Matrixx et sa solution de real-time billing, testée puis présentée par Swisscom à une douzaine de sociétés télécoms, avec à la clé de nouveaux investisseurs et de nouveaux clients. Un apport bien utile aux jeunes entrepreneurs, sachant que la déconnexion avec le marché est l’une des premières causes d’échec des jeunes pousses. «Les investisseurs corporate peuvent nous ouvrir des portes, voire intégrer notre produit dans leur offre. Pour nous, c’est un plus, cela nous permet de toucher davantage de clients, c’est une validation marché», se réjouit Gilles Florey, patron de la start-up valaisanne Keylemon financée par Swisscom Ventures et Debiopharm.

Une double casquette complexe

Le principal défi posé aux entités de corporate venturing est lié à leur double rôle d’investisseur et de détecteur d’innovation. Et aux attentes parfois contradictoires de leur entreprise et de la communauté d’investisseurs.

Du côté de l’entreprise, il faut veiller à ce que les décisions d’investissement soient connectées aux besoins business, tout en restant autonomes. «Le dealflow vient souvent de notre unité de R&D ou du business, explique Dominique Mégret. Ils ont un besoin particulier ou ils s’apprêtent à utiliser le produit d’une start-up, dans laquelle ils nous suggèrent d’investir». Pour filtrer ces demandes, l’opérateur compte une douzaine de collaborateurs férus de start-up faisant office d’interface entre leur département et Swisscom Ventures.

S’il est important pour les entreprises de s’assurer que leurs investissements soient alignés avec leur stratégie, cette relation peut cependant nuire à leur crédibilité vis-à-vis des autres investisseurs. «La valeur ajoutée des investisseurs corporate n’a d’intérêt que s’ils se montrent aussi des investisseurs professionnels et pérennes», avertit le spécialiste Boris Battistini. Pour être acceptés des investisseurs et être invités aux levées de fond les plus attractives, les investisseurs corporate doivent s’engager sur le moyen terme et ne pas changer de stratégie au gré de l’agenda de leur entreprise. Pour ce faire, certains, comme SAP, préfèrent rendre leur entité d’investissement complètement autonome et indépendante. Il faut aussi savoir s’adapter au modus operandi des capitaux-risqueurs, comme le raconte Dominique Mégret: «On a parfois des gros deals aux Etats-Unis qui, après plusieurs mois de négociation, se concluent soudain en l’espace de quelques jours. Pour être crédible, il faut être réactif et rapide. Nous avons été obligés d’adapter nos processus pour être en mesure d’obtenir tous les feux verts en interne en très peu de temps.» Tout un défi pour une entreprise de la taille de Swisscom.


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