Interview

Stefan Plogmann, Socar Energy Switzerland: «Nous avons préparé minutieusement le transfert durant sept mois»

| Mise à jour
par Interview: Janine Aegerter

En entretien avec notre rédaction, Stefan Plogmann, responsable IT de Socar Energy Switzerland explique comment son entreprise a hérité de l’ensemble du paysage applicatif d’un groupe international, et l’a adapté à ses besoins. Un changement qui a obligé la firme à repenser presque l’ensemble de son infrastructure IT.

Stefan Plogmann était responsable IT chez Socar Energy Switzerland depuis l’été 2012.
Stefan Plogmann était responsable IT chez Socar Energy Switzerland depuis l’été 2012.

Socar a racheté à Exxonmobil l’ensemble des activités d’Esso Suisse au 1er juillet 2012, ce qui l’a contraint à rebâtir son IT. Qu’est-ce que cela signifie exactement?

Nous avons dû remplacer tout ce qui touche à l’infrastructure depuis ce rachat. Nous avons hérité de quasiment tout le paysage applicatif de ce groupe mondial. Et nous avons dû mettre en place et intégrer ce qui n’était pas hébergé en Suisse – c’est-à-dire presque tout. Il s’agissait parfois de choses banales, il n’y avait par exemple pas de serveur mail en Suisse, et le système SAP central était hébergé aux Etats-Unis. Mais il y a également eu de plus gros challenges. Lors de la reprise, l’architecture d’interface relevait du puzzle. Par endroit, il fallait cinq systèmes pour transporter une donnée de A à B. Nous avons réduit cela à un seul système.

Un an et demi pour une telle tâche ce n’est finalement pas grand-chose.

C’est vrai, mais il n’y avait pas d’autre solution. Pour nos clients et pour nos fournisseurs, rien n’a changé, mais sous le capot, tout est neuf.

Comment s’est déroulée la migration du système à Zurich?

Nous avons préparé minutieusement le transfert durant sept mois. La nouvelle infrastructure a été déployée et les applications séparées de la maison mère. En novembre 2011, le projet a démarré et au 1er juillet 2012, nous avons repris l’entreprise. Le jour J, toutes les connexions avec Exxonmobil ont été rompues et l’ensemble de l’IT a été mis ici en route. 

Avez-vous pu dormir durant la nuit du 1er juillet?

Le 1er juillet tombait un dimanche, et ça a été l’un des jours de travail les plus relax de toute cette phase de transition. Tout a parfaitement joué. Toutes les migrations et le débranchement du réseau se sont parfaitement déroulés. Le lundi matin, tout fonctionnait. Le mardi, nous avons démarré SAP et les choses se sont corsées.

Que s’est-il passé?

Les opérations de base fonctionnaient bien, mais notre équipe de travail a tout de même connu quelques jours de travail très stressants. L’essentiel était cependant que les clients de Socar ne remarquent rien ou presque de cette transition. Dès la troisième semaine, le système est redevenu stable.

Pourquoi SAP a-t-il posé tant de problèmes?

Suite au rachat, nous avons reçu une copie du système SAP global d’Exxonmobil, conçu pour 180 pays et 80 000 collaborateurs. Ce «monstre» était relativement compliqué et s’était développé durant des dizaines d’années. Avec une petite équipe, il est pratiquement impossible à gérer. Par conséquent, quelques mois plus tard, nous avons pris la décision radicale de tout refaire à neuf. C’était aussi une option plus économique que d’adapter le système SAP hérité de Exxonmobil. Le nouveau système a été mis en service fin 2013.

Combien de personnes ont participé à cette migration?

Le 1er juillet 2012, une centaine de collaborateurs IT d’Exxonmobil, venus en Suisse pour l’occasion, étaient ici. De notre côté, nous étions huit collaborateurs de Socar Energy Switzerland. Exxonmobil possède des spécialistes partout dans le monde. Nos employés sont plutôt des généralistes.

Où allez-vous chercher les compétences nécessaires?

Nous avons des partenaires externes spécialisés qui assurent le support IT sur tout le territoire suisse. Au total, nous avons outsourcé presque la totalité du support IT à une douzaine d’entreprises.

Que fait l’IT de Socar encore elle-même?

L’activité principale de l’IT de Socar relève de la coordination, de la gestion du support et des projets. En outre, nous réfléchissons à l’architecture future. Socar Energy Switzerland fait certes partie de l’organisation gigantesque qu’est Socar, avec 70 000 collaborateurs. Mais nous sommes relativement indépendants en matière d’opérations. Nous gérons notamment l’infrastructure complète et tous les besoins depuis ici. Il y a certes des directives imposées par la maison mère à Baku (ndlr: capitale de l’Azerbaïdjan), mais à l’intérieur de celles-ci, nous pouvons agir de manière autonome. C’est aussi ce qui m’a fasciné lorsque je suis arrivé chez Socar Energy Switzerland: créer une start-up, créer une entreprise à partir de presque rien. C’est une opportunité rare dans le monde pétrolier, surtout en Europe. 

Pouvez-vous décrire le paysage informatique de Socar en quelques mots?

Nous travaillons avec un grand nombre de logiciels spécialisés, employés dans le secteur pétrolier, et plus de 85 applications métiers, réparties sur plus de 100 serveurs. Nous avons plus d’une centaine d'interfaces automatisées tous azimuts, avec de très nombreux clients et partenaires.

Pouvez-vous en donner un exemple?

Nous sommes l’un des plus grands importateurs de pétrole et de gaz en Suisse et commandons des bateaux ou des trains entiers de carburant. De sorte que nous disposons de grands stocks de combustibles, répartis dans toute la Suisse et gérés par les exploitants locaux. Ce sont des systèmes entièrement automatisés, très intégrés et interfacés. Nous avons également des partenaires, chargés du ravitaillement des avions à Genève et Zurich. Nous ne faisons que livrer le carburant, mais c’est très complexe du point de vue IT, en raison des connexions avec les systèmes des compagnies aériennes. Là aussi, les processus de commandes et de livraisons sont totalement automatisés, sauf s’il s’agit d’un jet privé. Nous avons ensuite des applications spéciales pour les stations services, pour la gestion des articles, la vente, les prix, etc. Dans ce secteur, nous travaillons avec Migrolino, filiale de Migros, qui s’occupe de la logistique et de la livraison des articles du magasin. En outre, nous avons intégré encore divers systèmes IT dans nos camions-citernes.

De quel genre?

Nous avons des unités embarquées dans nos camions. Nous pouvons voir à tout moment et en temps réel où sont les camions. Nous pouvons ainsi envoyer des commandes de manière dynamique au camion, dès qu’il y a un changement. Nous voyons à tout moment si quelqu’un est en retard ou quand le camion devrait arriver à destination. En théorie, on peut même via GPS interdire à un camion de décharger sa marchandise s’il n’est pas à la station-service. En outre, nous avons un projet pilote pour un système qui calcule le contenu des citernes des stations essence toutes les 15 minutes, et transmet les résultats aux camions par communication mobile. Le chauffeur peut ainsi voir s’il y a suffisamment de place dans la citerne pour ce qu’il s’apprête à décharger. 

Poursuivez-vous d’autres buts avec ce système de mesure?

Il s’agit avant tout d’une question de sécurité. Les chauffeurs ne doivent plus saisir manuellement l’état des réservoirs et se pencher sur leur couvercle pour contrôler le niveau. Le risque était grand qu’ils soient écrasés par une voiture. Pour nous, il est naturellement également important de pouvoir contrôler l’état des citernes à tout moment et en temps réel. Nous pouvons ainsi réagir à un changement de la demande, par exemple au début des vacances, lorsque tout le monde part pour le sud, ou lors d’un grand match de football. Le pire qui puisse nous arriver serait qu’une station essence soit à sec. 

Cela arrive-t-il de temps en temps?

Dans des cas isolés. C’est pourquoi nous voulons accélérer l’échange d’informations.

Utilisez-vous le cloud?

Socar a toujours eu comme principe de ne pas utiliser de cloud public, avant même le scandale de la NSA. C’est une exigence de la maison mère. Nous utilisons en revanche un cloud privé dans notre propre data center. Nous avions ici auparavant 40 ou 50 serveurs physiques. A présent, nous en avons six, plus six pour la redondance.

Vous avez virtualisé le reste?

Oui, nous avons virtualisé presque tous les serveurs, introduit des systèmes de stockage, changé tout le réseau national et coupé les connexions internationales dès que nous n’en avons plus eu besoin. Nous voulions ainsi économiser des coûts grâce à moins de complexité. 

Avez-vous mené encore d’autres grands projets IT?

Nous avons échangé notre réseau internet via satellite pour une combinaison de réseaux mobiles et DSL. Les satellites ne sont pas inintéressants financièrement, mais la transmission de données est très lente. La réception, en cas de fortes chutes de neige est également problématique. A présent, nous avons un réseau hybride. Selon la location, nous pouvons combiner DSL, réseau mobile, connexion satellite voire fibre optique. Nous essayons de toujours disposer de deux canaux, pour que l’un prenne le relais en cas d’indisponibilité. Ce n’est pas bon pour nous quand les cartes de crédit ne sont pas acceptées à cause d’une connexion en ligne inaccessible.

Avez-vous également modernisé le système de caisses?

Oui, dans le cadre de l’introduction de l’EMV (Europay Mastercard Visa, transition de la carte à bande magnétique à la carte à puce), qui touche tous les secteurs en Suisse. Pour nous, cela signifiait que nous devions changer tous nos terminaux de paiement, dans toutes nos stations essence. Nous modernisons à présent nos systèmes de caisse, et le trafic de paiement de toutes nos stations service. Le projet devrait aboutir en mars.

Vous avez donc essayé de tout simplifier grâce à cette transition?

Exactement, c’est la grande question.

Y êtes-vous parvenu?

Du point de vue de l’infrastructure, c’est parfait. En quelques minutes, nous pouvons ajouter de nouveaux serveurs. Nous avons un concept génial de Disaster Recovery, comprenant la reprise depuis un autre data center – ce qui n’aurait pas été possible avant. Dans le domaine des applications business, nous avons encore trop peu simplifié. Mais cela n’était pas planifié et n’avait pas la priorité. Notre but était d’abord de changer l’infrastructure, puis le paysage d’interfaces. Finalement, nous avons fait les deux en même temps. Fin 2013, nous remplacions notre système SAP. A présent, presque tout est neuf, nous pouvons nous atteler au thème complexe des applications business.

Quels projets, outre les applications business, avez-vous encore?

Avec la transition, nous avons dû impérativement nous concentrer sur les processus internes. C’est une condition importante si l’on veut délivrer un service client optimal. Mais nous souhaitons également offrir une plus-value directe aux clients finaux. Nous avons introduit le wifi gratuit dans toutes les grandes stations essence. Nos clients peuvent ainsi également faire le plein de leur téléphone portable. Nous aimerions également bientôt proposer le NFC sur nos terminaux de paiement. Les stations essence ont déjà été équipées du matériel nécessaire. Nous attendons à présent que Six nous livre les logiciels. De plus, nous voulons déployer un nouveau système de caisse et commencer au plus vite son évaluation.

On dirait qu’il s’agit d’un grand projet…

Oui. Dans une station essence, un système de caisse n’est pas qu’un système de caisse comme on les connaît ailleurs. Il est relié à tous les composants de la station essence. On ne peut pas le traiter de manière isolée, on doit prendre en compte l’ensemble de l’écosystème technologique. Rien que l’évaluation devrait prendre une année; le rollout prendra lui un à deux ans de plus.

Comment ces mois de travail ont-ils marqué l’entreprise?

La phase de transformation et le développement du système ont été passionnants et exigeants. Socar Energy Switzerland bénéficie d’une grande autonomie au sein du groupe. Nous pouvons désormais agir de notre propre chef au niveau local. Nous devons réfléchir nous même à la manière de rencontrer le succès et de servir le client.

Les collaborateurs voient-ils cette autonomie comme un plus?

Ce changement organisationnel et culturel a insufflé un esprit positif dans l’entreprise, les collaborateurs sont dans une ambiance de renouveau. Je suis impressionné par ce que certains départements ont réalisé ces 18 derniers mois.

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