Interview

Suresh Pillai, Ebay Europe: «En Suisse, il y a peu de personnes qui exercent ma profession»

| Mise à jour
par Interview: Marion Ronca

Suresh Pillai travaille à Zurich en tant que web marketing analyst pour Ebay Europe. En interview, ce data scientist explique quels sont les grands défis en matière de big data, et ce qui fait d’Ebay un employeur à part.

Diplômé en physique, Suresh Pillai travaille depuis deux ans comme analyste du marketing en ligne chez Ebay Europe.
Diplômé en physique, Suresh Pillai travaille depuis deux ans comme analyste du marketing en ligne chez Ebay Europe.

En quoi consiste votre travail au sein d’Ebay Europe?

Je viens de changer de fonction au sein de l’entreprise. Ces deux dernières années, j’ai dirigé le département Web Analytics, et je viens de reprendre la direction du Customer Analytics. Dans ma précédente fonction, j’analysais les effets des mesures de marketing en ligne. Les résultats des moteurs de recherche représentent la grande partie des données traitées. Ensuite, il y a les données des annonces payées, placées en haut et à droite des pages. En outre, nous analysons d’autres canaux, comme les blogs et les sites de comparaison de prix, avec lesquels Ebay a un partenariat. Sur ces sites, nous plaçons des publicités qui peuvent être fermées par un clic ou bloquées. Enfin, il existe d’autres portails, comme Yahoo, qui ont un bouton «Ebay» placé sur leur page d’accueil. Le marketing en ligne cherche à amener du trafic sur notre site web et l’analyse marketing étudie ce trafic. Deux sources de données jouent ici un rôle. D’une part, nous analysons les clics, en relation avec des actions concrètes d’achat sur notre site. D’autre part, nous observons aussi les clics dans tous les canaux marketing que nous venons d’évoquer. Dans ces cas, les clients visitent le site, mais ils n’achètent pas forcément quelque chose. Avec le marketing en ligne, il s’agit de comprendre la relation entre l’acte concret d’achat et tous ces clics, surtout ceux qui mènent à l’achat. Parfois, plusieurs clics sont décisifs, chacun d’entre eux augmentant la probabilité d’achat. Dans ma nouvelle fonction de responsable customer analytics, il s’agit au contraire de se pencher sur la segmentation des clients et sur les effets de mesures telles que la personnalisation.

D’après vous, quels sont les trois sujets brûlants dans le domaine de l’analyse web?

Je crois que la modélisation d’attribution – c’est-à-dire la question de l’influence d’un clic sur l’achat – est un thème important. En deuxième place vient la question de savoir si une campagne marketing de courte durée peut mener à une relation durable avec le client et augmenter la notoriété de la marque. Enfin, la segmentation des clients a également beaucoup d’importance, avec la question de comment former des groupes de clients et s’adresser à eux de manière ciblée.

Qu’avez-vous étudié? Quel est votre parcours professionnel?

A la base, je suis physicien, j’ai étudié la physique théorique. Je pense que de nos jours, on travaille rarement dans le secteur dans lequel on a étudié. C’est particulièrement le cas après des études académiques et théoriques. Hors recherche universitaire, l’on peut mettre en pratique sa capacité à analyser des données et à régler des problèmes complexes dans un domaine particulier. Quand j’ai commencé à travailler chez Ebay, il y a deux ans, j’avais déjà acquis de l’expérience dans l’analyse de données d’économie d’entreprise, mais le domaine du marketing internet était nouveau pour moi. J’ai travaillé auparavant pour l’UBS et j’ai aussi été chercheur à l’EPFZ. Au Canada, j’ai travaillé pour une entreprise de courtage en ligne dans le domaine de l’analyse prédictive.

Qu’est-ce qui fait d’Ebay un employeur à part?

Il y a plusieurs raisons, selon moi. D’abord, Ebay est une entreprise pleine de sollicitude pour ses employés, qui prend au sérieux et soigne ses valeurs. Parmi celles-ci, l’on trouve le respect des collaborateurs entre eux et pour les clients. Ebay est convaincu, depuis sa création, que tout le monde devrait pouvoir utiliser tous les canaux de commerce. Ce principe reste aujourd’hui le moteur des activités d’Ebay. De plus, c’est une entreprise très dynamique, qui se différencie fortement des firmes des secteurs plus conservateurs et lents, comme le monde bancaire. Le commerce – et d’autant plus le commerce en ligne – change très vite, et les entreprises de ce secteur doivent tout aussi rapidement s’adapter. Ebay est également un excellent employeur grâce aux possibilités de carrière qu’il propose au sein de l’entreprise. Les collaborateurs sont encouragés à prendre de nouvelles fonctions, comme cela vient d’être le cas pour moi. Ainsi, les employés n’ont pas besoin de démissionner pour faire évoluer leur carrière et accéder à un échelon supérieur. 

A quoi ressemble votre journée normale de travail?

Je dirige une équipe de spécialistes en analyse de données, qui ont chacun un parcours très différent. Certains ont une formation en sciences naturelles, d’autres en ingénierie, en économie ou dans la finance. La plupart des analyses que nous réalisons ici sont de simples rapports pour nos partenaires marketing. Nous faisons également des analyses plus complexes, par lesquelles nous cherchons les tendances et la segmentation des clients. Dans ce type d’analyse, il s’agit de grouper les clients qui ont un comportement semblable. Dans les modèles d’attribution, nous essayons de déterminer quel cheminement de clics mène à l’achat. Jusqu’à il y a peu, seuls le dernier ou le premier clic étaient pris en compte. Lorsqu’un client arrivait sur notre site depuis une annonce payée sur Google, nous attribuions l’achat à ce premier clic, bien que nous sachions que tous les autres clics étaient également importants. Aujourd’hui, nous traitons ce cas différemment et nous nous demandons lequel du premier ou dernier clic était décisif. Nous analysons également l’importance du canal. L’on peut déterminer si un canal a eu de l’importance au début et un autre à la fin du processus. Enfin, nous tentons de modéliser tout cela. 

A votre avis, combien de personnes en Suisse font le même travail que vous?

Mon travail est très particulier, c’est pourquoi je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens en Suisse qui fassent la même chose. J’ai plutôt l’occasion d’échanger avec des confrères lors de congrès internationaux, en Europe ou dans le monde entier. En Suisse, l’échange est limité, il peut être très difficile de recruter du personnel spécialisé, alors qu’il y a ici de très bonnes universités. Cela m’étonne. Des entreprises comme Ebay sont en concurrence avec le secteur bancaire, qui pour beaucoup de gens semble tout indiqué au sortir d’une formation en sciences naturelles. La disponibilité des talents est peut-être la plus grande différence entre les Etats-Unis et l’Europe. Au siège principal d’Ebay, dans la Silicon Valley, et sur toute la côte ouest en général, il y a bien plus de personnes avec des formations très différentes, qui souhaitent devenir chercheur ou analyste de données. En Suisse, il n’existe pas de «pool» comparable. Pour cette raison, nous devons recruter nos collaborateurs dans toute l’Europe. Il n’y a pas de Suisse dans mon équipe, par exemple. Dans la Silicon Valley, les gens circulent d’une entreprise à l’autre, cela permet de trouver plus facilement le personnel qualifié.

L’économiste américain Robert J. Gordon disait récemment qu’au fond, le big data permettait uniquement de gagner des parts de marché. Qu’en pensez-vous?

Je pense que le big data permet avant tout d’apporter une meilleure compréhension de ses propres données. Cela vaut pour les sciences naturelles comme pour le marketing ou l’ingénierie. Le big data existe depuis longtemps. Avec l’arrivée des appareils mobiles et le renforcement de l’interconnexion, le volume de données disponibles a encore augmenté. Il existe plusieurs modèles et le défi est de trouver lequel est le plus adapté. 

Comment décidez-vous quel modèle est plus pertinent?

En tant que chercheur, on peut analyser les données de manière très fouillée, mais il faut ensuite pouvoir rassembler les résultats de la recherche. Cela dépend de ce dont on a besoin. Les financiers n’ont pas besoin d’une grande granularité. Les responsables métier ont davantage besoin d’informations détaillées, et les développeurs de modèles de pronostic souhaitent autant de granularité que possible. Cela dépend donc toujours de la personne à qui nous devons présenter nos résultats. C’est le premier aspect. Ensuite, le fait que nous analysons les données dans un environnement professionnel et pas dans une université joue évidemment un rôle. Au contraire du monde académique, nous avons un temps limité, cela signifie que nous ne pouvons pas consacrer un temps infini à la recherche, mais nous devons présenter des résultats dans des délais définis. Nous devons donc davantage travailler sur les ambiguïtés que les chercheurs universitaires. Cette limitation temporelle nous empêche également de développer à n’importe quel prix des modèles parfaits. Nous devons nous satisfaire d’avoir donné une bonne vision, sans avoir livré de mauvais résultats.

Dans le domaine du big data, quels sont les grands défis actuels?

Je ne crois pas que les grands défis soient d’ordre technique. Avec le grand volume de données disponibles, l’on peut pratiquement tout modéliser, c’est là un bien plus grand défi. Un analyste de données doit aujourd’hui très bien définir à quelle question il peut apporter des réponses utiles, dans un délai raisonnable. Il y a toujours des passionnés de données, comme les geeks ou les nerds, qui analysent en profondeur tous les aspects d’un sujet, pour développer des modèles très intéressants, mais absolument inutiles pour le monde des affaires. La délimitation du sujet rend la recherche moins sexy, mais plus utile. Un autre défi concerne bien sûr l’augmentation du volume de données. Les possibilités de stockage et de calcul sont certes suffisantes, mais les données croissent plus rapidement que les outils pour les traiter. Pour cette raison, les données ne peuvent pas être utilisées tout le temps et de manière exhaustive, mais un choix doit être effectué au sein de celles-ci. Ce n’est pas toujours évident, car personne ne voudrait omettre une information importante par erreur.

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