Exposition

Plongée interactive dans la Zone de «Stalker» à la Maison d’Ailleurs

| Mise à jour
par Yannick Chavanne

La Maison d'Ailleurs rend un hommage original au cinéaste Andreï Tarkovski. Fruit d'une collaboration réussie avec la Heig-vd, l'exposition «Stalker | Expérimenter la Zone» intègre avec habileté les nouvelles technologies au contexte muséal. ICTjournal a visité l’exposition.

Qu'ils aient vu ou non «Stalker», les visiteurs de l'exposition que la Maison d’Ailleurs consacre jusqu'au 2 mars à ce chef-d'œuvre du septième art vivent une expérience intrigante et poétique à souhait. Coproduite par la Heig-vd, cet ambitieux hommage à Andreï Tarkovski, considéré comme l'un des plus grands cinéastes du 20ème siècle, invite à se plonger dans «la Zone», un mystérieux territoire où déambulent les trois personnages principaux de ce film culte sorti en 1979. Aussi inquiétant que fascinant, ce lieu où la nature a repris ses droits sur la  civilisation a été recréé spécialement pour l'occasion par Rashit Safiullin, le scénographe de Stalker. Un décor post-apocalyptique accueille différentes installations, inspirées de plusieurs séquences marquantes du long métrage fantastique.

Incorporer la technologie avec discrétion

Rashit Safiullin, les curateurs de l’exposition Alexandra Kaourova et Eugène Meiltz, ainsi que le directeur du musée Marc Atallah ont soumis leurs idées aux collaborateurs et étudiants de la Heig-vd. Ces derniers ont ensuite réfléchi de quelle manière les concrétiser. «Nous avons fait appel à la technologie pour que les visiteurs ne se retrouvent pas simplement devant des images du film, mais qu'ils puissent concrètement revivre des scènes en se mettant à la place des protagonistes. Le défi était de parvenir à rendre les dispositifs suffisamment discrets, afin de ne pas distraire le visiteur. Notre objectif étant en priorité de susciter une émotion et non pas de mettre en avant des innovations technologiques», précise Marc Atallah.

La filière ingénierie des médias du département COMEM+ de la Heig-vd s'est chargée de reproduire deux séquences de Stalker par le biais d'installations multimédias: «Le feu sur l'eau» et «La Chambre des désirs». Reproduction d'une scène onirique saisissante, où la caméra survole une rivière limpide et peu profonde laissant transparaître les reliques d'une société en ruine, «Le feu sur l'eau» consiste en une animation numérique élaborée avec le logiciel Adobe After Effects, projetée sur un décor au sol.

Exprimer d'intimes désirs via plusieurs interfaces

Au cœur de la Zone, se trouve «La Chambre des désirs», un espace censé exaucer les vœux les plus intimes. Le film ne dévoile que le portail permettant d'y entrer. L'exposition a reconstitué cet accès, mais en le condamnant par une imposante toile de fils blancs, sur laquelle est projeté un nuage de particules qui tournoient dans l'espace, puis se figent sous la forme d'un dessin avant de se décomposer à nouveau… et ainsi de suite.

Les esquisses qui s'y succèdent proviennent de plusieurs supports, dont une table multi-tactile se trouvant dans la mezzanine en surplomb. Les visiteurs sont invités à y produire graphiquement leur souhait, lequel est ensuite encodé en WebGL, une API Javascript. «Avoir la table éloignée de la chambre, située en contrebas, cela correspond au message du film, qui fait prendre conscience que l'endroit où l'on exprime ses désirs n'est pas celui où ils se réalisent. De plus, les visiteurs ont vu des désirs projetés sur la toile avant de monter et de pouvoir exprimer le leur. Cela reprend une seconde morale du film, à savoir que nos désirs sont toujours influencés par d'autres», détaille avec passion Marc Atallah.

En parallèle, des systèmes permettent au public de créer et d'envoyer ses dessins depuis l'extérieur. Pour ce faire, une webapp pour smartphones et tablettes a été développée, dont l'interface de création graphique peut d'ailleurs se télécharger en scannant un QR code, tel que celui présent dans la vitrine de l’Office du Tourisme d’Yverdon-les-Bains. Une fois tracés sur ces multiples interfaces, tous ces vœux viennent s'ajouter à ceux qui défilent en permanence dans «La Chambre des désirs».

Des étudiants en informatique très inspirés

L’exposition comprend trois autres installations, qui sont le fruit du travail d'étudiants de la filière informatique du département TIC de la Heig-vd. Ils ont participé à un cours à option, sous la direction du Professeur Andres Perez-Uribe. «Au début, on leur a donné carte blanche pour développer leurs prototypes et de nombreuses excellentes idées ont jailli. Mais certaines étaient trop ambitieuses et on a dû faire en sorte de les adapter aux contraintes, notamment en fonction du temps que nous avions à disposition. C'était un défi technologique intéressant, car nous devions notamment prendre garde à créer des installations en mesure de tenir le coup sur une durée de six mois», concède le professeur.

Ces trois dispositifs, avec lesquels les visiteurs sont invités à interagir, sont effectivement  plutôt complexes, mais suffisamment robustes et fiables. Dans «Le Puits sans fond», qui embarque un attirail technologique somme toute modeste constitué de capteurs, ainsi que de cartes Arduino et Raspberry Pi, un bruit retentit bien après y avoir jeté un objet, suggérant une profondeur abyssale.

Se découvrir un don de télékinésie!

Pour l'installation baptisée «Le chien errant», les étudiants et collaborateurs du département TIC de la Heig-vd ont utilisé la Kinect, le capteur de mouvements signé Microsoft bien connu des gamers. Quand le visiteur arrive à côté d'une projection murale, un chien noir apparaît et le guide, en le précédant ou en s'asseyant pour l'attendre. La plus intrigante des installations est sans doute la reconstitution de la mémorable scène finale de «Stalker», où une fillette déplace par la seule force de son esprit des verres posés sur une table. Ainsi, quand le visiteur s'assied à une table, il a l'impression de posséder pareil don de télékinésie en observant les verres se mouvoir soudainement comme par magie!

En fait, une webcam dissimulée dans une bouteille capte sa présence. Un bras mécanique, caché sous la table, est alors actionné par intermittence et fait bouger les verres équipés d'aimants. Collaborer de la sorte avec la Maison d’Ailleurs, en lice pour l'obtention du prix du musée européen de l’année 2014, s'est avéré des plus concluants pour Andres Perez-Uribe. Il confie: «Rendre une exposition aussi interactive est très satisfaisant. Et ça a permis à l'école de se mettre en avant auprès d'un public de potentiels futurs étudiants en informatique.» Sachant qu'il n'y a pas assez de jeunes qui s'inscrivent dans cette filière, il s'agit là d'une façon assurément séduisante de la promouvoir!

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