Interview

Venkat Venkatraman: «Il faut développer une Silicon Valley à l’intérieur des entreprises»

| Mise à jour
par Rodolphe Koller

Lors du CNO-Panel organisé par Dr. Pascal Sieber, notre rédaction à eu l’opportunité de s’entretenir avec Venkat Venkatraman, Professeur à l’Université de Boston, spécialiste de l’alignement entre IT et métiers et de l’innovation par l’informatique. Il explique les défis et les opportunités qui se présentent aux CIO dans un monde en transformation.

Professeur de management à l’Université de Boston,Venkat N. Venkatraman est un expert réputé dans les domaine de la stratégie et de l’informatique d’entreprise. (Quelle: Kirsten Oertle, Foto Prisma Frauenfeld)
Professeur de management à l’Université de Boston,Venkat N. Venkatraman est un expert réputé dans les domaine de la stratégie et de l’informatique d’entreprise. (Quelle: Kirsten Oertle, Foto Prisma Frauenfeld)

Certains prétendent que l’informatique perd de son importance dans l’entreprise et qu’elle est en passe de devenir une commodité à confier à des tiers, comme l’électricité… L’IT a-t-elle encore de l’importance?

L’IT en tant que façon d’automatiser et d’opérer le business n’importe plus. En revanche, l’informatique intégrée dans des produits, dans la manière d’offrir des services, dans l’interconnexion entre les entreprises est de plus en plus importante. Si une entreprise considère que l’IT n’a pas d’importance, c’est qu’elle en a une vue très limitée, qu’elle n’y voit qu’un centre de coûts et pas un moteur de profits et de différentiation. Cet aspect est souvent négligé par les CIO eux-mêmes et confié aux responsables du marketing ou des opérations. Il est temps que cela change et que les entreprises repensent le rôle de leur IT en tant que moteur du business.

Peut-on reformuler en disant que l’IT est importante, mais que le département IT ne l’est plus?

D’une certaine manière. Si les compétences du département IT se limitent aux opérations, alors oui, il n’importe plus car ces éléments peuvent être outsourcés. Mais un département IT orienté business, qui regarde vers le futur, qui peut éduquer ses collègues des métiers quant à l’évolution de l’impact des technologies, n’a jamais été aussi important. Cela implique de quitter sa zone de confort, de cesser de résoudre les problèmes d’aujourd’hui avec les solutions d’hier, de consacrer plus de temps et d’énergie à innover qu’à implémenter et à standardiser. Un futur est en marche dans le marketing et les opérations, avec le mobile, l’information en temps réel, les médias sociaux. Pour ne pas en être exclu, le département IT ne doit plus gérer l’informatique d’hier, mais créer l’organisation et les processus de demain, qui seront digitaux.

Le département informatique va-t-il se scinder en deux?

Je ferais une analogie avec le domaine de la finance. Dans les entreprises, pendant longtemps la comptabilité et la finance étaient une seule et même fonction, puis on les a séparées. Que fait aujourd’hui un département de comptabilité? Il gère les opérations et chiffres actuels – on ne veut pas de comptables créatifs! Mais nous voulons des financiers créatifs pour comprendre la complexité des marchés et gérer de façon stratégique les finances de l’entreprise. Il en va de même pour l’informatique; ce sont deux choses complètement différentes que de gérer l’IT comme un centre de coûts que de la gérer comme un centre de croissance, un centre de profit, un centre d’investissement. Et dans ces centres, il faut avoir à la fois des collaborateurs IT et des collaborateurs métiers. Actuellement, beaucoup d’entreprises essaient ou mettent en œuvre des logiques organisationnelles allant dans ce sens.

Les prestataires externes doivent-ils être cantonnés à l’aspect opérationnel ?

Non, mais il faut distinguer l’outsourcing destiné à garantir la parité avec mes concurrents du même secteur, de l’outsourcing visant à me différencier. L’un est orienté à court terme et l’autre à long terme. Il ne faut jamais confier ces deux aspects au même fournisseur. C’est l’origine de très nombreux problèmes.

Selon Gartner, une fonction stratégique de Chief Digital Officer va émerger dans les entreprises pour prendre en charge l’ensemble des technologies orientées vers les clients finaux. Entre les départements marketing et IT, qui a le plus de chances d’endosser ce rôle?

La question est de savoir qui possède les compétences pour assumer cette fonction. Je pense que ni le marketing ni l’IT ne sont aujourd’hui particulièrement armés pour ce domaine émergent. C’est un rôle qui sera à mon avis plutôt transverse et assumé par des personnes de la nouvelle génération qui pensent et respirent le digital, notamment les médias sociaux. N’oublions pas en revanche que l’information doit rester sous la responsabilité de l’IT. On ne veut pas que le marketing définisse l’architecture des données ou qu’il se mêle de sécurité et de confidentialité.

Au vu de l’essor de ces technologies, les entreprises traditionnelles semblent mal armées face aux sociétés digitales qui viennent bouleverser leur secteur…

Les entreprises refusent de voir l’influence des acteurs digitaux sur leur secteur. Dans l’un de mes cours, je demande à mes étudiants d’analyser la façon dont ces géants du digital bouleversent ou sont susceptibles de bouleverser leur industrie, notamment grâce à leur taille, qui empêche de les absorber. C’est l’échelle d’Apple qui lui a permis de chambouler l’industrie musicale; idem pour Google avec la publicité. Facebook dispose d’un milliard d’utilisateurs qui lui donnent des informations digitales à chaque fois qu’ils sont en contact avec son service. Qui peut en dire autant? Les entreprises ne doivent plus considérer leurs concurrents traditionnels, mais les capacités de ces nouveaux concurrents. Ce sont eux qui définissent la manière dont les entreprises doivent reconfigurer leur modèle d’affaires et leurs partenariats dans leur secteur.

Ces changements ne sont-ils pas trop rapides par rapport aux capacités de transformation des entreprises?

Le changement organisationnel et l’innovation doivent s’opérer à la vitesse de transformation du marché. Or celle-ci est désormais dictée par les technologies et les géants digitaux à même de développer une échelle difficilement imaginable. L’omniprésence du digital modifie les compétences clés des entreprises; les succès de demain ne ressembleront pas aux succès d’hier. Il faut donc apprendre des sociétés digitales et si possible en faire des partenaires. Le succès de la Silicon Valley repose sur la présence de quatre acteurs: des institutions académiques, des investisseurs, des entrepreneurs et des sociétés établies. Il faut développer une Silicon Valley à l’intérieur des entreprises pour permettre l’essor d’entrepreneurs. Pourquoi ne pas analyser une initiative à la manière dont les investisseurs jugent une start-up? Les sociétés de capital risque savent être brutales lorsqu’il s’agit d’arrêter un projet – contrairement aux CIO…

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