Processus IT

Gilbert Caillet-Bois, Hotela: «L’informatique est au cœur du changement et elle doit aussi être son moteur»

| Mise à jour
par Rodolphe Koller

Prestataire spécialisé dans les assurances sociales, Hotela a entamé une transformation de ses processus avec l’IT comme colonne vertébrale. En entretien avec notre rédaction, Gilbert Caillet-Bois, CIO de l’assureur, revient sur les défis d’un tel changement, mais aussi sur les opportunités d’affaires créées par le nouveau système d’information.

Gilbert Caillet-Bois, CIO d’Hotela: «Nous avons appris combien un projet BPM n’est pas un projet technique». (Quelle: Hotela)
Gilbert Caillet-Bois, CIO d’Hotela: «Nous avons appris combien un projet BPM n’est pas un projet technique». (Quelle: Hotela)

Pourriez expliquez en quelques mots quel est le métier d’Hotela?

Nous sommes un prestataire d’assurances sociales avec la caractéristique unique de compter cinq domaines: l’AVS, le deuxième pilier, les allocations familiales, les indemnités pour perte de gain et l’assurance accidents. Nos quelque 4'000 clients sont des entreprises de toute la Suisse du secteur hôtelier (hotelleriesuisse), des agences de voyage (FSAV), des EMS (senesuisse) et les écoles suisses de ski (swiss snowsports). Et nous nous différencions de la concurrence en proposant l’ensemble des assurances sociales sous un même toit.

Cinq domaines, cela signifie-t-il cinq informatiques?

C’était le cas dans une certaine mesure, mais les choses ont beaucoup changé depuis l’arrivée en 2010 de Michael Bolt comme nouveau CEO. Très orienté processus, il a développé une stratégie d’entreprise avec l’informatique comme colonne vertébrale, en intégrant notamment la direction IT à la direction exécutive de la société. La stratégie révisée consiste à transversaliser autant que possible les processus de travail, tant à l’interne que pour les clients. Nous gagnons ainsi en efficacité et nous interagissons surtout comme un seul partenaire pour l’entreprise cliente – c’est là que réside notre avantage concurrentiel. Si une telle transformation orientée processus et client paraît simple sur le papier, elle n’est pas facile à expliquer et à comprendre et elle implique d’importants efforts de gestion du changement. Au niveau organisationnel, un nouveau métier est né qui prend en charge les évènements clients et leur coordination en interne, pour toutes les assurances. Les cinq domaines originaux ont donc vu certains de leurs domaines de compétences être transférés vers cette équipe transverse.

Quel est l’impact de cette stratégie orientée processus sur l’architecture informatique?

La stratégie informatique a découlé très tôt de la stratégie d’entreprise. Pour moi, il était essentiel de savoir si je devais construire un immeuble de cinq étages ou cinq maisons individuelles. La stratégie choisie de construire un seul immeuble implique de facto un certains nombre d’éléments communs et partagés. Nous avons ainsi conçu une architecture composée de trois briques. A commencer par le développement sur mesure d’un système transverse qui concerne toute la relation avec les clients. Nous avons pour ce faire employé Bonita, un outil de Business Process Management (BPM), et avons été accompagnés par Elca. La seconde brique concerne les activités et applications métier spécifiques. La troisième brique touche aux activités génériques de support, le CRM ou la gestion électronique de documents. Nous employons ici les solutions standards de TI Informatique, ce qui réduit les coûts d’intégration et la complexité du SI.

Le secteur des assurances souffre-t-il toujours du manque de solutions logicielles métier standard?

Effectivement, il existe aujourd’hui des solutions standard de branche, par exemple pour la LPP ou l’AVS. Le problème, c’est qu’aucun logiciel n’a réellement été construit pour du multi-assuranciel en s’intégrant à d’autres briques applicatives. Les solutions du marché, par exemple celles proposées par les grands éditeurs d’ERP, sont monolithiques et couvrent un domaine d’activité de A à Z. Elles ne s’intègrent pas à notre approche de puzzle qui recourt à des éléments communs. C’est la raison pour laquelle nous ne sous sommes pas attaqués dans un premier temps aux silos métier, mais plutôt à la partie transverse et client.

Comment les processus se présentent-ils concrètement pour l’entreprise cliente?

Nous avons déployé un extranet pour prendre en charge les interactions avec la clientèle, c’est d’ailleurs l’un des gros projets que nous avons menés à bien. Nous avons adopté une démarche qui a bien fonctionné en travaillant avec cinq clients pilotes. Nous avons commencé par identifier 16 évènements pertinents pour l’entreprise cliente tout au long de notre relation, comme l’entrée d’un collaborateur, le fait qu’un collaborateur soit malade ou ait eu accident. Ces évènements qui peuvent être quotidiens ne sont pas directement liés à une assurance particulière et concernent en général plusieurs de nos métiers. L’extranet a donc été conçu autour de ces évènements et des informations dont nous avons besoin pour les traiter. Pour simplifier le processus côté client et limiter les informations à fournir, nous avons développé un moteur qui exploite tout ce que nous savons déjà de lui, notamment ses contrats. De plus, le client est accompagné d’un assistant qui restreint les options au fur et à mesure des réponses qu’il fournit à des questions simples du type «votre collaborateur souhaite-t-il toucher des allocations familiales?». Tout se passe donc en ligne de manière conviviale, y compris l’upload des documents nécessaires. 

Et qu’advient-il à l’interne, une fois ces informations saisies?

L’évènement client génère un évènement du même type chez nous, qui est pris en charge par l’équipe transverse et traité à l’aide de l’outil BPM. L’équipe transverse fait ainsi office de point de contact unique pour le client. Cette organisation nous a conduits à redessiner la frontière entre ce qui continue d’être assumé par le métier et ce qui remonte à l’équipe transverse, comme la création d’un nouvel employé et sa déclaration aux organismes tiers. Une fois que cette partie administrative et documentaire est achevée, les métiers prennent le relais; ils peuvent importer les informations dans leurs applications spécifiques et valider le paiement des prestations. En ce sens, chaque métier se concentre sur sa plus-value et l’équipe transverse sur la relation avec le client. 

Toute cette nouvelle informatique fait office de fer de lance de la stratégie processus de l’entreprise. Comment gère-t-on un tel changement?

Comme je l’ai dit, j’ai eu la chance que le directeur général de la société considère l’informatique comme la colonne vertébrale des processus de travail. J’ai en revanche minimisé certains impacts. La mise en place des processus et systèmes transverses a notamment eu pour conséquence une entreprise à deux vitesses. Avec d’un côté les collaborateurs enthousiastes embarqués dans cette transformation et de l’autre des métiers focalisés sur leur problématique usuelle. Dans ce domaine, la communication avec les autres membres de la direction est cruciale afin d’assurer une implication de la « ligne ». Plus généralement, la question de la gestion du changement est un aspect qui m’intéresse particulièrement dans ma fonction. De par sa vision transverse de l’entreprise, l’informatique est au cœur du changement et elle doit aussi être son moteur. Je pense que la fonction de CIO ne doit pas se borner à accepter les changements - comme le BYOD - mais les anticiper. Et il ne doit pas seulement être un vecteur de rationalisation, mais aussi un porteur d’innovation et un créateur de valeur, en particulier dans le secteur tertiaire.

Vous voulez parler de nouvelles prestations nées de l’informatique?

Tout à fait et le cas de l’extranet l’illustre parfaitement, puisqu’il a été conçu non pas comme un outil technique, mais comme un véritable produit à destination de notre clientèle. Nous sommes même allés plus loin, puisque nous avons directement connecté notre plateforme extranet à l’environnement SAP de l’un de nos grands clients pilotes. Auparavant, les processus RH de ce client s’arrêtaient aux assurances sociales, alors que maintenant le processus se poursuit dans notre système. Ce qui lui a permis de réduire ses coûts d’administration RH et à nous de gagner un client loyal. Et ce type d’interconnexion pourrait tout à fait être répliqué, notamment avec des prestataires spécialisés dans la gestion des salaires pour le compte d’autres sociétés. C’est pour moi un exemple emblématique de création de valeur et d’opportunités d’affaires via l’interconnexion entre deux entreprises au moyen de l’informatique – et ce modèle est applicable dans de nombreuses branches de services. 

Quel a été l’impact de cette transformation au niveau du département IT? Qu’avez-vous appris?

Il y a eu une grosse évolution, à commencer par la gouvernance. La première chose que nous avons faite c’est de mettre en place un PMO, des méthodes et un portefeuille de projets au niveau de l’entreprise et donc de l’IT. On peut parler d’industrialisation des processus informatiques. La transformation a aussi naturellement eu un impact sur les équipes et les compétences. Alors que nous développions tout sur mesure en interne, les collaborateurs se sont retrouvés avec de nouveaux outils, notamment le BPM pour la partie transverse et GWT (Google Web Toolkit) employé pour l’extranet. Il était dès lors important de nous faire accompagner d’un partenaire qui puisse à la fois fournir les compétences au début et les transmettre sur le tas à nos équipes afin qu’elles prennent peu à peu le relais au fil du projet. Enfin, un troisième aspect que nous avons sous-estimé, c’est l’ampleur du changement qu’entraîne la mise en place d’un BPM, tant pour l’informatique que pour les métiers. Nous nous en sommes rendu compte lorsque nous avons vu la première version de la solution transverse. Son interface, développée par l’IT en collaboration avec les métiers, reprenait en grande partie le mode de fonctionnement de Windows, auquel tout le monde est habitué, et qui diffère fortement d’un mode orienté processus. Nous aurions sans doute dû être un peu moins à l’écoute et faire plus de coaching, car il n’est pas facile de transcrire l’approche BPM dans le concret. Nous avons appris combien un projet BPM n’est pas un projet technique.

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