Bonnes pratiques

Comment les départements IT s’organisent pour innover plus et plus vite

Soucieux d’accélérer le rythme de leurs innovations, de nombreux responsables IT développent des structures plus ou moins formalisées pour évaluer et expérimenter les idées les plus prometteuses. Coup de projecteur sur les démarches entreprises dans les départements IT du Canton de Vaud, de Lombard Odier Investment Managers, et de Firmenich.

L’informatique du Canton de Vaud s’est lancée fin 2017 dans une profonde réorganisation qui devrait s’achever fin 2019. A la tête du service depuis 2009, Patrick Amaru explique qu’il n’est pas aisé d’expliquer que l’on va se transformer quand les choses se passent bien. Pourtant, selon le CIO, il est impératif d’agir car l’IT du canton doit gagner en agilité et en innovation. Un refrain familier pour la plupart des responsables informatiques touchés eux aussi par la déferlante numérique avec son lot d’attentes, d’opportunités à saisir et de changements de direction à opérer…. vite. Pour des départements IT dont les processus, l’organisation et la gouvernance ont été établis afin de garantir de l’efficience et de la stabilité, la transition vers un mode agile au-delà du développement et vers une approche «fail fast , learn fast» constitue des défis de taille.

Réorganisation et pilotage centralisé de l’innovation

A l’IT du Canton de Vaud, un paquebot de plus de 400 collaborateurs, cette transformation commence notamment par le passage à une organisation matricielle de manière à rendre les processus décisionnels plus légers avec moins d’échelons hiérarchiques et davantage d’autonomie et de responsabilité aux équipes - une démarche inédite dans une administration publique, confesse Patrick Amaru. Développement agile étendu à tous les métiers, préférence pour des solutions standard déployées rapidement sont également au programme.

Patrick Amaru, CIO du Canton de Vaud.

Côté innovation, le département IT du Canton de Vaud souhaite s’orienter vers un pilotage centralisé. D’ici fin 2018, le service va ainsi composer une petite équipe dédiée à l’innovation. Celle-ci aura pour tâche de recueillir les idées innovantes soumises par les différents métiers de l’administration. «L’innovation doit émerger du terrain et des équipes en place», explique Patrick Amaru. La cellule innovation évaluera le potentiel, les coûts et l’impact des innovations proposées; elle analysera également dans quelle mesure les innovations peuvent bénéficier ou au contraire entraver d’autres métiers ou systèmes. Si le projet est accepté, la réalisation d’un pilote à risque réduit se verra confiée aux équipes métier en place. La cellule innovation se limitant à un rôle de support avec la possibilité, si nécessaire, de détacher des spécialistes sur le projet.

Structure virtuelle chez Lombard Odier Investment Managers

Le processus d’innovation que le Canton de Vaud s’apprête à mettre en place ressemble en de nombreux points à l’approche adoptée par Lombard Odier Investment Managers (LOIM). Chief Technology Officer de cette division spécialisée dans la gestion d’actifs pour la clientèle institutionnelle et les intermédiaires financiers, Stéphane Rey a mis en place une structure virtuelle dédiée à l’innovation au printemps 2017. Baptisée inLAB, cette structure réunit toutes les deux semaines une quinzaine de personnes, dont certaines participent en vidéoconférence depuis Londres ou New York. Outre des participants fixes, on y retrouve des responsables de divers métiers (IT, vente, gestion, etc.) qui viennent proposer et discuter ouvertement leurs idées d’innovation.

Stéphane Rey, CTO chez Lombard Odier Investment Managers.

«La diversité autour de la table est un gage de réussite», explique Stéphane Rey qui souligne l’importance que cette structure soit business-driven. Ce sont d’ailleurs les métiers qui ont la mainmise sur les projets retenus et qui sont chargés d’élaborer un proof of concept avec leurs ressources existantes. «Si nécessaire, il arrive que l’on s’entoure de fintech ou de spécialistes du monde académique», ajoute Stéphane Rey. A l’issue de cette phase pilote, les projets porteurs rejoignent le processus standard. Grâce au développement agile, la mise en production intervient après quelques mois, explique le CTO. Ainsi, c’est via ce processus d’incubation que Lombard Odier Investment Managers a mené en janvier avec succès sa première transaction basée sur la blockchain. «Nous réalisons deux à trois projets d’innovation par an», ajoute Stéphane Rey.

Une opportunité pour les CIO

Les initiatives du Canton de Vaud et de Lombard Odier Investment Managers pour stimuler l’innovation digitale ne sont pas isolées. Sondés par ICTjournal quant à l’impact de la transformation numérique sur l’IT, plus de la moitié des CIO romands expliquent mettre en œuvre des processus d’innovation, tandis qu’un tiers crée des organisations parallèles plus véloces.

Pour Stéphane Girod, professeur de stratégie à l’IMD à Lausanne, ces poches d’innovation ont l’avantage d’amener les entreprises à se familiariser avec un mode de faire plus expérimental. Elles permettent aussi de confier des projets captivants aux collaborateurs les plus pointus. Elles sont aussi l’opportunité pour les responsables IT de démontrer leur capacité à innover et à jouer un rôle clé dans la digitalisation de leur organisation. Et de réduire ainsi le risque qu’un Chief Digital Officer ne débarque et se voie confier les initiatives numériques de l’entreprise.

Sachant que, dans tous les secteurs, innovation signifie de plus en plus innovation numérique l’informatique peut aussi profiter de l’expérience engrangée via ces initiatives pour jouer un rôle leader dans l’innovation de l’ensemble de l’entreprise.

Diffuser les pratiques au-delà de l’IT

C’est d’ailleurs l’ambition d’Eric Saracchi, CIO de Firmenich, qui en 2015 expliquait à notre rédaction ses projets pour stimuler l’innovation IT chez le géant des parfums et arômes. Au programme, plusieurs mesures rappelant celles du Canton de Vaud et de LOIM: idéation, comité d’évaluation, proof of concept, etc. Mais aussi une transformation en profondeur de la division informatique afin qu’elle ait à la fois une dimension «opérationelle» et une dimension «innovation», sans pour autant séparer les équipes. «Je reste convaincu que l’on peut être à la fois talentueux en gouvernance et ambitieux en innovation», commentait le CIO. Avec toutefois un défi majeur, embarquer les équipes en place dans une dynamique «try fast, fail fast, learn and start again» qui signifie un changement de culture, confessait Eric Saracchi.

Pour le CIO de Firmenich, une telle transformation peut, à terme, faire du département IT non plus seulement un fournisseur de services en technologie de l’information, mais aussi et surtout des services d’innovation: «Nous possédons déjà des techniques, des outils et des processus d’innovation de pointe […] qui nous positionnent comme un leader interne en termes d’innovation de service et de technologie. La prochaine étape consiste à partager cette boîte à outils et cette expérience avec le reste de l’entreprise. Une fois que les métiers seront eux aussi entrés dans cette dynamique innovante, on pourra dès lors aborder une troisième étape en intégrant nos clients et nos partenaires pour co-développer et co-créer.»

Selon Stéphane Girod, professeur de stratégie à l’IMD, l’impératif d’innovation demande en effet une réorganisation plus radicale dépassant le cadre de l’informatique. Avec des équipes très autonomes en contact étroit avec les clients-utilisateurs décidant de leurs priorités sans passer par la hiérarchie.

Des bonnes pratiques communes

Les efforts menés au Canton de Vaud, chez Firmenich et chez LOIM ont beaucoup en commun. Ces entreprises cherchent toutes à structurer l’innovation IT et à dépasser ainsi une démarche purement opportuniste. Des organisations parallèles et des processus plus véloces se mettent en place pour faire remonter les idées d’innovation, et pour décider de celles qui feront l’objet d’un pilote. Toutes misent sur des équipes pluridisciplinaires et réalisent les projets avec leurs ressources existantes et, parfois, l’assistance de start-up.

Au Canton de Vaud et chez Firmenich, ces efforts s’inscrivent dans le cadre d’une transformation plus large. Et c’est sans doute là que réside le véritable enjeu: comment, à terme, diffuser cette culture innovante et expérimentale et ces circuits de décision courts au contact des clients, à l’ensemble du département informatique et de l’entreprise. Comment organiser une véritable transformation numérique, en somme…

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